Chère Hapsatou,
Je te connais peu, mes faibles
connaissances à ton sujet résultant essentiellement de mes furtives évasions
télévisuelles, lorsque mon esprit appelle à la décontraction. Ainsi, j’ai pu t’apercevoir
dans quelques reportages vantant ta réussite professionnelle, ton ambitieuse
ardeur au travail ou encore tes qualités entrepreneuriales hors pair que tu as
décidé de mettre au service de la cosmétique. J’ai également croisé au fil de
ces pages virtuelles que nous propose internet des portraits plutôt élogieux à
ton égard semblant dans bien des cas vouloir faire de toi une figure positive voire
un modèle, consacrant ta fougue, ton goût du commerce et ta réussite. Des
qualités qui, dans notre société qui sacralise comme pour mieux s’excuser des
inégalités qu’elle génère et ancre, semblent encore plus remarquables car tu es
une femme, une jeune femme, une jeune femme noire, une jeune femme noire qui
aime à rappeler à qui veut l’entendre son enfance en banlieue. Comme ton
homonyme Omar, tu tends à devenir (malgré toi ?) un symbole car l’exception
contrainte revêt encore aujourd’hui un caractère symbolique.
Depuis 2 ans, tu élargis ta
sphère de reconnaissance en t’illustrant en tant que chroniqueuse aux côtés de Laurence
Ferrari, Roselyne Bachelot, Audrey Pulvar et Elisabeth Bost dans le Grand 8. L’heure
de diffusion de cette émission étant peu compatible avec mes activités
professionnelles, je dois reconnaître que j’ai peu souvent eu l’occasion de
découvrir tes talents d’animatrice. Cependant, les quelques visionnages au gré
des jours de RTT m’ont suffi pour apprécier le jeu un peu usé mais toujours
efficace de l’affrontement des camps, toi, la working girl libérale souvent
opposée à l’humaniste engagée Audrey Pulvar. Je te l’accorde, cela peut sembler
un peu caricatural mais au vu de ce qui suivra, je suis certaine que tu ne m’en
tiendras pas rigueur, ton antipathie à l’égard de la caricature restant à
démontrer.
Hier, pour les raisons évoquées
ci-avant, je n’ai donc pas regardé le Grand 8 mais ne t’inquiète pas, étant
entourée de personnes bien intentionnées veillant à mon information médiatique
permanente, j’ai reçu ce midi par texto, un lien me dirigeant vers la vidéo du « clash »
du Grand 8. Un clash « mémorable » (du moins pour cette semaine)
opposant la dynamique et entreprenante Hapsatou à l’intello-chic Audrey Pulvar,
chacune épaulée par une autre chroniqueuse (Roselyne Bachelot pour toi et
Elisabeth Bost pour Audrey Pulvar) afin de débattre sur la polémique du moment,
à savoir les propos tenus par Willy Sagnol, entraîneur des Girondins de
Bordeaux qui interrogé sur le recrutement de joueurs africains pour son équipe,
s’est exprimé en ces termes :
« L'avantage du joueur je
dirais typique africain, c'est qu'il n’est pas cher quand on le prend. C'est un
joueur qui est prêt au combat généralement, qu'on peut qualifier de puissant mais
le foot, ce n'est pas que ça, c'est aussi de la technique, de l'intelligence,
de la discipline. Il faut de tout. Il faut des nordiques aussi. C'est bien les
nordiques, ils ont une bonne mentalité. C'est un mélange, une équipe de foot.
C'est comme la vie, c'est comme la France, c'est un mélange. On a des
défenseurs, des attaquants, des milieux, des rapides, des grands, des petits,
des techniques... »
Laurence Ferrari débute alors la
mise en scène en interrogeant ses chroniqueuses pour se forger une idée sur l’origine
de ces propos : « Intention ou maladresse ? ».
Face à Audrey Pulvar, plutôt
calme dans son exposé présentant ces propos comme racistes, tu t’emportes
allant jusqu’à plaindre Willy Sagnol acculé par tous pour avoir à ton sens
simplement été maladroit. Tu l’imagines, presque la larme à l’œil, devoir vivre,
après ça, aux côtés des Noirs qu’il côtoie tous les jours. Tu confirmes d’ailleurs
que comme « on le sait, le joueur africain est puissant » et qu’il n’y
a nul besoin de faire toute une histoire pour des vérités dites maladroitement.
Permets-moi alors de m’étonner de
cette contre-vérité présentée en toute décontraction sur un plateau de
télévision. Ou si je me trompe, je t’invite à me communiquer au plus vite les
études scientifiques sur lesquelles tu t’appuies pour affirmer que « l’africain
est puissant » alors que des scientifiques et penseurs se sont usés à
démonter ces théories racistes en attribuant les mêmes capacités physiques à
tous les hommes. Par ailleurs, Hapsatou, peux-tu me dire si l’Africain du Maroc
est aussi puissant que l’Africain noir de l’ouest ou encore, si l’Africain noir,
vivant à Paris et assumant son aversion totale pour le sport, est aussi
puissant que le français blanc surentrainé né à Marseille ? Christophe
Lemaître est-il nécessairement moins puissant que mon voisin Moussa du même âge
originaire du Sénégal ?
J’espère que ces questions auront
au moins l’intérêt de mettre en lumière l’inconséquence de ton affirmation qui
comme nous l’entendons encore trop souvent continue de laisser croire que les
caractéristiques physiques voire psychologiques, mentales ou morales des hommes
peuvent être déterminées par leur seule origine ethnique. Le simple fait d’être
Blanc, Noir, Asiatique ou autre pourrait dès lors vous conférer des propensions
génétiques à agir de telle ou telle manière, à exceller dans tel ou tel domaine
ou au contraire à trainer des lacunes dans
tel ou tel autre domaine. Ces idées reçues qui continuent d’être
destructurantes pour la société condamnent les hommes qui se font précéder par
des caractéristiques injustement affectées et constituent les fondements du
racisme.
C’est bien sur cette question des
prédispositions physiques qu’Audrey Pulvar a tenté de ramener un peu de raison
mais ton engouement sans borne, supporté par Roselyne Bachelot n’a pas voulu s’ouvrir
à l’entendement. Roselyne B. allant jusqu’à croire confirmer ces théories
accablantes en citant l’exemple des Kenyans, logiquement rois du marathon grâce…aux
gênes du marathon ? Certainement…Et si on parlait des gênes de l’équitation
avec lesquels naissent tous les petits versaillais ? Evidemment, les
conditions de vie, l’émulation autour d’un sport devenu national grâce aux réussites
qu’il génère ne joueraient aucun rôle…
Cependant, je veux bien te
rejoindre sur un point. Mon souhait n’est nullement d’exiger la mise sur le bûcher
de ce Monsieur Sagnol dont j’ai découvert l’existence avec ses déclarations.
Tout comme toi, je n’ai pas de goût particulier pour le lynchage. Néanmoins, il
n’est pas question de cela ici. Sans exiger sa mise à mort, il me semble
citoyen et en accord avec les valeurs que ce pays continue à crier sur ces
bâtiments publics de simplement reconnaître que les propos tenus sont racistes.
Peu importe qu’ils aient été prononcés avec intention de nuire ou non. Nul
besoin de polémiquer sur la personnalité de M. Sagnol qui au vu de sa dernière
conférence de presse tient à faire savoir à tous qu’il n’est pas une mauvaise
personne. Le caractère personnel n’est pas en jeu mais l’enjeu idéologique est
de taille et il me semble important lorsque l’on s’accorde le droit d’usage de la
tribune publique de respecter son auditoire et pour les auditeurs de condamner les
propos racistes. Pourquoi, les incartades racistes devraient dans certains cas
appeler à la désolidarisation et dans d’autres faire débat ? Je dois t’avouer
que l’introduction de Laurence Ferrari posant le débat sur l’intention ou la
maladresse de M. Sagnol m’a pour le
moins interpellée. Le simple fait d’associer l’appartenance à une
caractéristique relevant dans tous les cas d’un propos raciste. Ces généralités
infondées continuent de véhiculer des clichés qui s’inscrivent années après
années comme des vérités et éloignent chaque fois plus le rêve de l’égalité des
hommes. Certes, penser que l’Arabe est naturellement doué en mathématiques,
outre le fait d’être faux, n’est qu’à un pas du dramatique l’Arabe est voleur.
Attention Hapsatou ne t’y
méprends pas, il n’est pas question pour moi de te reprocher ne de pas te
rallier à la « cause noire », car je te rejoins sur un autre point,
il n’est pas question de dresser les communautés ou de chercher les gentils et
les méchants. Toutefois, si une cause me semble intéressante à défendre c’est
bien celle des Hommes. C’est en cela que ma correspondance ne s’adresse pas à
ton appartenance ethnique mais bien à ta capacité de raisonnement et à ton bon
sens. L’énergie entrepreneuriale et la folle envie de faire partie d’un monde
conventionnel en adéquation avec l’idée que tu te fais de la réussite auraient-elles
eu raison de tout discernement ou peut-être est-ce l’absolue nécessité de
se distinguer pour s’enquérir d’un crédit qui t’a animée ?
Ainsi, tu en arrives à dire qu’il
n’a nullement dit qu’un Africain n’était ni technique, ni intelligent ni
discipliné. C’est vrai, il n’a pas prononcé ces mots. Cependant, nul besoin d’être
un pro de la rhétorique pour comprendre que cela était insinué par les propos
qui ont suivi : mais le foot, ce n'est pas que ça, c'est aussi de la
technique, de l'intelligence, de la discipline. Il faut de tout. Il faut des
nordiques aussi.
Ok, je veux bien pousser un peu et croire comme toi que ce parallèle
rhétorique n’était pas calculé et que la phrase était sortie de son contexte
mais si je dis en conférence de presse qu’Hapsatou Sy en est arrivée là grâce à
des coucheries heureuses, trouveras-tu un contexte suffisamment adéquat pour justifier
qu’il ne s’agit pas là d’une médisance ? Me trouveras-tu un défenseur de
choix comme tu as su l’être avec M. Sagnol pour expliquer que mes propos ne
peuvent nullement être considérés comme blessants car tout le monde sait qu’une
femme ne peut pas réussir autrement à la TV ? J’espère que le défenseur que
tu me trouveras sera suffisamment doué pour effacer de la mémoire collective le
poncif perpétué selon lequel une femme réussit nécessairement grâce aux
évènements extérieurs à ses capacités.
Sache quoiqu’il en soit que, « comme
on le sait », je ne suis pas rancunière. Aussi, je te souhaite bonne route
et une longue carrière multiple qui j’espère ne sera pas trop ardue compte tenu
du fait que les femmes sont très émotives, ce qui n’est pas très recommandé
dans le monde des affaires considéré comme dur. De même, elles ne sont pas très
douées en mathématiques donc je te recommande vivement de recruter un bon
comptable de sexe masculin, évidemment, pour la gestion de tes affaires. Je
suis par ailleurs certaine que tu t’en sortiras peu importe les situations car
si les choses tournent mal, tu pourras toujours fuir rapidement grâce à ta
puissance.
En gage de ma sympathie, je t’invite
à me communiquer au plus vite ton adresse postale afin que je puisse te faire
parvenir quelques œuvres de ce cher Frantz Fanon à la puissance intellectuelle
certaine, dont les réflexions pourront t’être du plus grand secours.
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