jeudi 6 novembre 2014

Lettre ouverte à Hapsatou Sy


Chère Hapsatou,

Je te connais peu, mes faibles connaissances à ton sujet résultant essentiellement de mes furtives évasions télévisuelles, lorsque mon esprit appelle à la décontraction. Ainsi, j’ai pu t’apercevoir dans quelques reportages vantant ta réussite professionnelle, ton ambitieuse ardeur au travail ou encore tes qualités entrepreneuriales hors pair que tu as décidé de mettre au service de la cosmétique. J’ai également croisé au fil de ces pages virtuelles que nous propose internet des portraits plutôt élogieux à ton égard semblant dans bien des cas vouloir faire de toi une figure positive voire un modèle, consacrant ta fougue, ton goût du commerce et ta réussite. Des qualités qui, dans notre société qui sacralise comme pour mieux s’excuser des inégalités qu’elle génère et ancre, semblent encore plus remarquables car tu es une femme, une jeune femme, une jeune femme noire, une jeune femme noire qui aime à rappeler à qui veut l’entendre son enfance en banlieue. Comme ton homonyme Omar, tu tends à devenir (malgré toi ?) un symbole car l’exception contrainte revêt encore aujourd’hui un caractère symbolique.

Depuis 2 ans, tu élargis ta sphère de reconnaissance en t’illustrant en tant que chroniqueuse aux côtés de Laurence Ferrari, Roselyne Bachelot, Audrey Pulvar et Elisabeth Bost dans le Grand 8. L’heure de diffusion de cette émission étant peu compatible avec mes activités professionnelles, je dois reconnaître que j’ai peu souvent eu l’occasion de découvrir tes talents d’animatrice. Cependant, les quelques visionnages au gré des jours de RTT m’ont suffi pour apprécier le jeu un peu usé mais toujours efficace de l’affrontement des camps, toi, la working girl libérale souvent opposée à l’humaniste engagée Audrey Pulvar. Je te l’accorde, cela peut sembler un peu caricatural mais au vu de ce qui suivra, je suis certaine que tu ne m’en tiendras pas rigueur, ton antipathie à l’égard de la caricature restant à démontrer.

Hier, pour les raisons évoquées ci-avant, je n’ai donc pas regardé le Grand 8 mais ne t’inquiète pas, étant entourée de personnes bien intentionnées veillant à mon information médiatique permanente, j’ai reçu ce midi par texto, un lien me dirigeant vers la vidéo du « clash » du Grand 8. Un clash « mémorable » (du moins pour cette semaine) opposant la dynamique et entreprenante Hapsatou à l’intello-chic Audrey Pulvar, chacune épaulée par une autre chroniqueuse (Roselyne Bachelot pour toi et Elisabeth Bost pour Audrey Pulvar) afin de débattre sur la polémique du moment, à savoir les propos tenus par Willy Sagnol, entraîneur des Girondins de Bordeaux qui interrogé sur le recrutement de joueurs africains pour son équipe, s’est exprimé en ces termes :

« L'avantage du joueur je dirais typique africain, c'est qu'il n’est pas cher quand on le prend. C'est un joueur qui est prêt au combat généralement, qu'on peut qualifier de puissant mais le foot, ce n'est pas que ça, c'est aussi de la technique, de l'intelligence, de la discipline. Il faut de tout. Il faut des nordiques aussi. C'est bien les nordiques, ils ont une bonne mentalité. C'est un mélange, une équipe de foot. C'est comme la vie, c'est comme la France, c'est un mélange. On a des défenseurs, des attaquants, des milieux, des rapides, des grands, des petits, des techniques... »

Laurence Ferrari débute alors la mise en scène en interrogeant ses chroniqueuses pour se forger une idée sur l’origine de ces propos : « Intention ou maladresse ? ».

Face à Audrey Pulvar, plutôt calme dans son exposé présentant ces propos comme racistes, tu t’emportes allant jusqu’à plaindre Willy Sagnol acculé par tous pour avoir à ton sens simplement été maladroit. Tu l’imagines, presque la larme à l’œil, devoir vivre, après ça, aux côtés des Noirs qu’il côtoie tous les jours. Tu confirmes d’ailleurs que comme « on le sait, le joueur africain est puissant » et qu’il n’y a nul besoin de faire toute une histoire pour des vérités dites maladroitement.

Permets-moi alors de m’étonner de cette contre-vérité présentée en toute décontraction sur un plateau de télévision. Ou si je me trompe, je t’invite à me communiquer au plus vite les études scientifiques sur lesquelles tu t’appuies pour affirmer que « l’africain est puissant » alors que des scientifiques et penseurs se sont usés à démonter ces théories racistes en attribuant les mêmes capacités physiques à tous les hommes. Par ailleurs, Hapsatou, peux-tu me dire si l’Africain du Maroc est aussi puissant que l’Africain noir de l’ouest ou encore, si l’Africain noir, vivant à Paris et assumant son aversion totale pour le sport, est aussi puissant que le français blanc surentrainé né à Marseille ? Christophe Lemaître est-il nécessairement moins puissant que mon voisin Moussa du même âge originaire du Sénégal ?

J’espère que ces questions auront au moins l’intérêt de mettre en lumière l’inconséquence de ton affirmation qui comme nous l’entendons encore trop souvent continue de laisser croire que les caractéristiques physiques voire psychologiques, mentales ou morales des hommes peuvent être déterminées par leur seule origine ethnique. Le simple fait d’être Blanc, Noir, Asiatique ou autre pourrait dès lors vous conférer des propensions génétiques à agir de telle ou telle manière, à exceller dans tel ou tel domaine ou au contraire à trainer des lacunes dans  tel ou tel autre domaine. Ces idées reçues qui continuent d’être destructurantes pour la société condamnent les hommes qui se font précéder par des caractéristiques injustement affectées et constituent les fondements du racisme.

C’est bien sur cette question des prédispositions physiques qu’Audrey Pulvar a tenté de ramener un peu de raison mais ton engouement sans borne, supporté par Roselyne Bachelot n’a pas voulu s’ouvrir à l’entendement. Roselyne B. allant jusqu’à croire confirmer ces théories accablantes en citant l’exemple des Kenyans, logiquement rois du marathon grâce…aux gênes du marathon ? Certainement…Et si on parlait des gênes de l’équitation avec lesquels naissent tous les petits versaillais ? Evidemment, les conditions de vie, l’émulation autour d’un sport devenu national grâce aux réussites qu’il génère ne joueraient aucun rôle…

Cependant, je veux bien te rejoindre sur un point. Mon souhait n’est nullement d’exiger la mise sur le bûcher de ce Monsieur Sagnol dont j’ai découvert l’existence avec ses déclarations. Tout comme toi, je n’ai pas de goût particulier pour le lynchage. Néanmoins, il n’est pas question de cela ici. Sans exiger sa mise à mort, il me semble citoyen et en accord avec les valeurs que ce pays continue à crier sur ces bâtiments publics de simplement reconnaître que les propos tenus sont racistes. Peu importe qu’ils aient été prononcés avec intention de nuire ou non. Nul besoin de polémiquer sur la personnalité de M. Sagnol qui au vu de sa dernière conférence de presse tient à faire savoir à tous qu’il n’est pas une mauvaise personne. Le caractère personnel n’est pas en jeu mais l’enjeu idéologique est de taille et il me semble important lorsque l’on s’accorde le droit d’usage de la tribune publique de respecter son auditoire et pour les auditeurs de condamner les propos racistes. Pourquoi, les incartades racistes devraient dans certains cas appeler à la désolidarisation et dans d’autres faire débat ? Je dois t’avouer que l’introduction de Laurence Ferrari posant le débat sur l’intention ou la maladresse  de M. Sagnol m’a pour le moins interpellée. Le simple fait d’associer l’appartenance à une caractéristique relevant dans tous les cas d’un propos raciste. Ces généralités infondées continuent de véhiculer des clichés qui s’inscrivent années après années comme des vérités et éloignent chaque fois plus le rêve de l’égalité des hommes. Certes, penser que l’Arabe est naturellement doué en mathématiques, outre le fait d’être faux, n’est qu’à un pas du dramatique l’Arabe est voleur.

Attention Hapsatou ne t’y méprends pas, il n’est pas question pour moi de te reprocher ne de pas te rallier à la « cause noire », car je te rejoins sur un autre point, il n’est pas question de dresser les communautés ou de chercher les gentils et les méchants. Toutefois, si une cause me semble intéressante à défendre c’est bien celle des Hommes. C’est en cela que ma correspondance ne s’adresse pas à ton appartenance ethnique mais bien à ta capacité de raisonnement et à ton bon sens. L’énergie entrepreneuriale et la folle envie de faire partie d’un monde conventionnel en adéquation avec l’idée que tu te fais de la réussite auraient-elles eu raison de tout discernement ou peut-être est-ce l’absolue nécessité de se distinguer pour s’enquérir d’un crédit qui t’a animée ?

Ainsi, tu en arrives à dire qu’il n’a nullement dit qu’un Africain n’était ni technique, ni intelligent ni discipliné. C’est vrai, il n’a pas prononcé ces mots. Cependant, nul besoin d’être un pro de la rhétorique pour comprendre que cela était insinué par les propos qui ont suivi : mais le foot, ce n'est pas que ça, c'est aussi de la technique, de l'intelligence, de la discipline. Il faut de tout. Il faut des nordiques aussi.

Ok, je veux bien pousser un peu et croire comme toi que ce parallèle rhétorique n’était pas calculé et que la phrase était sortie de son contexte mais si je dis en conférence de presse qu’Hapsatou Sy en est arrivée là grâce à des coucheries heureuses, trouveras-tu un contexte suffisamment adéquat pour justifier qu’il ne s’agit pas là d’une médisance ? Me trouveras-tu un défenseur de choix comme tu as su l’être avec M. Sagnol pour expliquer que mes propos ne peuvent nullement être considérés comme blessants car tout le monde sait qu’une femme ne peut pas réussir autrement à la TV ? J’espère que le défenseur que tu me trouveras sera suffisamment doué pour effacer de la mémoire collective le poncif perpétué selon lequel une femme réussit nécessairement grâce aux évènements extérieurs à ses capacités.

Sache quoiqu’il en soit que, « comme on le sait », je ne suis pas rancunière. Aussi, je te souhaite bonne route et une longue carrière multiple qui j’espère ne sera pas trop ardue compte tenu du fait que les femmes sont très émotives, ce qui n’est pas très recommandé dans le monde des affaires considéré comme dur. De même, elles ne sont pas très douées en mathématiques donc je te recommande vivement de recruter un bon comptable de sexe masculin, évidemment, pour la gestion de tes affaires. Je suis par ailleurs certaine que tu t’en sortiras peu importe les situations car si les choses tournent mal, tu pourras toujours fuir rapidement grâce à ta puissance. 

En gage de ma sympathie, je t’invite à me communiquer au plus vite ton adresse postale afin que je puisse te faire parvenir quelques œuvres de ce cher Frantz Fanon à la puissance intellectuelle certaine, dont les réflexions pourront t’être du plus grand secours.

 

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