mercredi 24 août 2016

Un burkini : tous aux abris !

Alors que le débat sur le burkini devient la nouvelle lubie malveillante du moment, il n’en finit pas de m’interroger. Les discours sont multiples et les faits confus mais les résultats risquent d’être clairs et prévisibles.

Les faits : suite aux récents événements atroces qui ont frappé la ville de Nice, laissant une nouvelle fois les Français sans voix (pas pour longtemps), les arrêtés dits « anti-burkinis » fleurissent dans les villes balnéaires du sud de la France, la voie ayant été ouverte par les Villes de Nice et de Cannes.


Que disent ces arrêtés ? Un peu tout et n’importe quoi, un peu comme lorsque vous ne savez pas comment esquiver une invitation et que les bonnes excuses pleuvent (chat malade, migraine soudaine, empêchement professionnel et bien sûr tout cela à la fois !). On y parle de question d’hygiène dans une eau qui va et qui vient, de conditions de sécurité en cas de noyade, on y évoque les attentats, la protection de la laïcité et ce afin d’interdire l’accès aux plages à toute personne ne portant pas :

«une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime.»

Une définition suffisamment imprécise pour laisser libre cours à toute interprétation. Le mot n’est pas lâché mais il n’est pas nécessaire d’être un pro du Cluedo pour comprendre que les Musulmans et les signes « ostentatoires » qui leur sont associés, sont clairement visés.

A quelques mois des grandes échéances présidentielles, encore un débat qui mobilisera un temps la scène médiatique alors que bien d’autres préoccupations nuisent. Si tu ne veux pas que tes convives aillent à la cave et constatent l’état pitoyable de tes fondations, occupent les au salon fraîchement redécoré.

Pourtant, je cède aussi à la tentation car les effets feraient regretter son Happy à Pharrell Williams.

Ce matin encore, j’ai entendu à la radio, une fervente féministe qui, tout en s’indignant de la polémique créée autour du sujet compte-tenu du peu de femmes concernées par le port de cette tenue, se disait par ailleurs outrée par ce phénomène nouveau. Selon ses dires, le port du burkini serait un affront inacceptable face à toutes ces femmes musulmanes et soumises en Afghanistan, en Iran, ou encore en Arabie Saoudite. Des femmes contraintes de porter le voile, signe ultime de leur avilissement. 

En théorie, je ne peux que me ranger à son indignation s’agissant de toute femme d’ici ou d’ailleurs qui serait contrainte et forcée de se voiler ou d’adopter contre son gré un quelconque mode de vie ou comportement. Je suis d’ailleurs indignée de la même manière par ces femmes battues par leur conjoint ou harcelées moralement pour une jupe jugée trop courte et trop aguicheuse ou encore par ces maris qui condamnent leurs femmes à sortir apprêtées en toutes circonstances.

Bref, je me range d’office à toute cause noble visant à défendre la liberté de chacune et de chacun. Néanmoins, ne serait-ce pas un peu démago d’opposer la femme voilée contrainte et forcée dans des pays dans lesquels nous ne vivons pas à la femme voilée ayant fait ce choix en France.

Ce n’est peut-être pas le cas de toutes les femmes voilées en France mais il n’en demeure pas moins que beaucoup clament ce choix qu’elles font leur. Un choix issu des traditions, un choix dirigé par la pression familiale, un choix assumé, peu importe mais qui sommes-nous pour qualifier et juger un choix, en dehors de tout contexte et prise en compte des trajectoires individuelles ?

Suffit-il d’être une femme française, non musulmane, athée ou non, élevée dans des conditions et traditions ayant permis d’accéder à une liberté d’esprit et de vivre, une femme adepte du bikini et de se croire femme libre, pour imposer aux autres l’image de ce que l’on estime illustrer cette liberté ? Si pour ma part, le bikini est la tenue phare pour la plage, au nom de quoi serais-je fondée à juger celle qui opte pour le monokini (parce qu’avoir les marques du maillot, ça craint), la complexée qui garde son tee-shirt pour masquer ses bourrelets ou celle qui se sent en accord avec ses convictions en portant un burkini. Ce principe consistant à enfermer le féminisme dans la représentation personnelle et subjective qu’on se fait de la liberté m'empêche d'adhérer à ce discours. 

Ce sont d’ailleurs ces mêmes convictions bien-pensantes qui ont conduit aux pires désastres de l’histoire. Dès lors que l’Homme tente de définir le Bien façonné à son image et de rejeter le Mal qui ne lui ressemble pas cela ramène à des idéologies d’un passé peu glorieux.

De la même manière, cette polémique consacre une nouvelle fois les croyances dévalorisantes selon lesquelles les femmes ne sont pas habilitées à faire un choix. Ainsi, sous couvert de libérer les femmes du supposé joug des hommes, elles sont dorénavant placées en liberté surveillée sous l’œil des autorités publiques. Paternalisme quand tu nous tiens…A aucun moment, la possibilité qu’il s’agisse d’un choix conscient pour  certaines femmes n’est envisagée. 

Vous remarquerez que les signes « de distinctions religieuses » lorsqu’ils sont arborés par des hommes trouvent beaucoup moins d’écho. Dans ce cas, il ne peut s’agir que d’un vrai choix…évidemment.

Les effets : Bien évidemment, les arrêtés à la rédaction volontairement nébuleuse n’ont pas tardé à donner lieu aux premières dérives dont la plus médiatisée avec le témoignage de cette femme voilée qui aurait été verbalisée par la police municipale à Nice pour port d’un voile sur la plage.

Source : le Monde.fr - BESTIMAGE
A priori, cédant à la panique et faisant fi des discours « anti-amalgames » timidement glissés par les figures politiques du gouvernement en place au lendemain de chaque attentat, les autorités publiques tentent le tout pour le tout au nom de la préservation des principes de la République (dont la laïcité) et au nom de la sécurité. 

Pourtant, je ne saisis toujours pas comment l’une et l’autre sont mises en valeur par les mesures prises contre le burkini ou tout ce qui de près ou de loin pourrait signifier un lien avec l’Islam.

Comment la laïcité, soudainement chère à tous, est-elle préservée ?

Selon le Larousse, la laïcité serait une :

Conception et organisation de la société fondée sur la séparation de l'Église et de l'État et qui exclut les Églises de l'exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l'organisation de l'enseignement.

Autrement dit, la religion ne serait plus l’affaire de l’Etat et ce dernier serait garant de cette séparation dans l’exercice de ses prérogatives. C’est notamment ce qui explique que l’école publique exclut dorénavant l’enseignement et les pratiques religieuses. Néanmoins, la laïcité, c’est aussi la garantie que chacun puisse pratiquer sa religion dès lors que cette pratique exclut tout prosélytisme. Ainsi, on peut se promener dans la rue avec une kippa, une croix latine ou une étoile de David autour du cou, une tunique de moine bouddhiste ou encore un voile sur la tête. 

Il est donc évident que ces arrêtés et les verbalisations qui leur font suite, en visant une communauté religieuse en particulier, ne semblent donc pas très respectueux de cette sacro-sainte laïcité.

Et alors qu’en est-il de notre sécurité ? Admettons que de manière totalement assumée, on ait fait le choix de se caler derrière l’oreille tout principe de liberté et de laïcité et ce afin d’assurer notre sécurité, ces mesures ont-elles la moindre chance d’œuvrer dans ce sens ? Difficile de croire que de s’attaquer à des mères de familles ayant décidé de se laisser caresser par la vague ou tout simplement d’accompagner leurs enfants pour la baignade ait un quelconque intérêt pour la sécurité nationale.

En revanche, ce  qui est certain, c’est que ces mesures concourent clairement à l’institutionnalisation de l’amalgame en adoubant une croyance qui envisage de devenir populaire à savoir Musulman = terroriste. Ainsi, en cautionnant ces mesures, les autorités publiques inscrivent dans le marbre et banalisent cette association insoutenable. 

Ainsi,  une nouvelle fois, les Musulmans subissent la double peine, celle de l'impuissance face à l’usurpation de leur religion par des collectifs de barbares avides de pouvoir et celle de se voir condamnés pour des crimes qu’ils n’ont pas commis.  Tous sont ainsi sommés d’abandonner leurs convictions ou pratiques au risque de se voir bannis de l’espace public. Toute résistance étant nécessairement lue comme un soutien au terrorisme…

Un peu comme si vous décidiez de gifler la vendeuse H&M payée au SMIC pour combattre les ravages des conditions de travail dans les usines de textile du Bangladesh. Cela ne changera rien, elle n’y est pour rien mais peut-être que cela vous a fait du bien.

Le plus inquiétant, ce n’est pas tant que les principes républicains soient de nouveau vidés de leur substance (la liberté a ravalé son coming-out,  l’égalité agonise au bas de l’escalier et la fraternité tient le premier rôle du remake du 6ème sens) mais plutôt que ces mesures soient complètement contre-productives en faisant de l’Administration française et des haineux, les meilleurs RP des organisations terroristes à vocation politique. Voilà que la matière pour alimenter la propagande est maintenant livrée sur un plateau. 

Car si des cas isolés ou des mères de familles jugées trop couvertes ne représentent aucun danger, un lynchage public à caractère discriminant saura trouver un écho chez tous les déracinés, désaxés, cas désespérés, asociaux, délaissés, frustrés que la terre peut porter et qui tendront attentivement l’oreille aux propos des habiles marionnettistes adeptes du recrutement. Sans parler des jeunes filles qui, à la manière des gothiques, se laisseront séduire par les signes "ostentatoires" en guise de protestation. Il faut dire que, bien que non musulmane et totalement acquise à la cause du bikini, j’ai presque eu envie de porter un burkini, juste histoire de dire : non mais m… quoi, je peux quand même faire ce que je veux dès lors que je ne nuis pas à autrui !

Aussi, dès lors qu’elles sont totalement infondées pour défendre la laïcité et inefficaces pour assurer la sécurité, ces mesures ne seraient donc que l’expression d’une loi du Talion au rabais et travestie, un aveu de faiblesse et d’impuissance, une expression de l’absurdité à son paroxysme ou peut-être la conséquence de l’instrumentalisation car après tout, à qui profite le crime en ces temps obscurs ? Il faut bien que la haine des uns serve les autres, qu’importe si nous continuons de vivre ces atrocités…

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