Alors que le débat sur le burkini
devient la nouvelle lubie malveillante du moment, il n’en finit pas de m’interroger.
Les discours sont multiples et les faits confus mais les résultats risquent d’être
clairs et prévisibles.
Les faits : suite aux récents événements atroces qui ont frappé la ville de Nice, laissant une nouvelle fois
les Français sans voix (pas pour longtemps), les arrêtés dits « anti-burkinis »
fleurissent dans les villes balnéaires du sud de la France, la voie ayant été
ouverte par les Villes de Nice et de Cannes.
Que disent ces arrêtés ? Un
peu tout et n’importe quoi, un peu comme lorsque vous ne savez pas comment
esquiver une invitation et que les bonnes excuses pleuvent (chat malade,
migraine soudaine, empêchement professionnel et bien sûr tout cela à la fois !).
On y parle de question d’hygiène dans une eau qui va et qui vient, de
conditions de sécurité en cas de noyade, on y évoque les attentats, la protection
de la laïcité et ce afin d’interdire l’accès aux plages à toute personne ne
portant pas :
«une tenue
correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles
d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime.»
Une définition suffisamment imprécise
pour laisser libre cours à toute interprétation. Le mot n’est pas lâché mais il
n’est pas nécessaire d’être un pro du Cluedo pour comprendre que les Musulmans
et les signes « ostentatoires » qui leur sont associés, sont
clairement visés.
A quelques mois des grandes
échéances présidentielles, encore un débat qui mobilisera un temps la scène
médiatique alors que bien d’autres préoccupations nuisent. Si tu ne veux pas
que tes convives aillent à la cave et constatent l’état pitoyable de tes
fondations, occupent les au salon fraîchement redécoré.
Pourtant, je cède aussi à la
tentation car les effets feraient regretter son Happy à Pharrell Williams.
Ce matin encore, j’ai entendu à
la radio, une fervente féministe qui, tout en s’indignant de la polémique créée
autour du sujet compte-tenu du peu de femmes concernées par le port de cette tenue, se
disait par ailleurs outrée par ce phénomène nouveau. Selon ses dires, le port
du burkini serait un affront inacceptable face à toutes ces femmes musulmanes et
soumises en Afghanistan, en Iran, ou encore en Arabie Saoudite. Des femmes
contraintes de porter le voile, signe ultime de leur avilissement.
En théorie,
je ne peux que me ranger à son indignation s’agissant de toute femme d’ici ou d’ailleurs
qui serait contrainte et forcée de se voiler ou d’adopter contre son gré un
quelconque mode de vie ou comportement. Je suis d’ailleurs indignée de la même
manière par ces femmes battues par leur conjoint ou harcelées moralement pour
une jupe jugée trop courte et trop aguicheuse ou encore par ces maris qui condamnent leurs femmes à sortir apprêtées en toutes circonstances.
Bref, je me range d’office à
toute cause noble visant à défendre la liberté de chacune et de chacun.
Néanmoins, ne serait-ce pas un peu démago d’opposer la femme voilée contrainte
et forcée dans des pays dans lesquels nous ne vivons pas à la femme voilée
ayant fait ce choix en France.
Ce n’est peut-être pas le cas de toutes les
femmes voilées en France mais il n’en demeure pas moins que beaucoup clament ce
choix qu’elles font leur. Un choix issu des traditions, un choix dirigé par la
pression familiale, un choix assumé, peu importe mais qui sommes-nous pour qualifier
et juger un choix, en dehors de tout contexte et prise en compte des
trajectoires individuelles ?
Suffit-il d’être une femme
française, non musulmane, athée ou non, élevée dans des conditions et
traditions ayant permis d’accéder à une liberté d’esprit et de vivre, une femme
adepte du bikini et de se croire femme libre, pour imposer aux autres l’image
de ce que l’on estime illustrer cette liberté ? Si pour ma part, le bikini
est la tenue phare pour la plage, au nom de quoi serais-je fondée à juger celle
qui opte pour le monokini (parce qu’avoir les marques du maillot, ça craint),
la complexée qui garde son tee-shirt pour masquer ses bourrelets ou celle qui
se sent en accord avec ses convictions en portant un burkini. Ce principe
consistant à enfermer le féminisme dans la représentation personnelle et
subjective qu’on se fait de la liberté m'empêche d'adhérer à ce
discours.
Ce sont d’ailleurs ces mêmes convictions bien-pensantes qui ont
conduit aux pires désastres de l’histoire. Dès lors que l’Homme tente de définir
le Bien façonné à son image et de rejeter le Mal qui ne lui ressemble pas cela ramène à
des idéologies d’un passé peu glorieux.
De la même manière, cette polémique
consacre une nouvelle fois les croyances dévalorisantes selon lesquelles les
femmes ne sont pas habilitées à faire un choix. Ainsi, sous couvert de libérer
les femmes du supposé joug des hommes, elles sont dorénavant placées en liberté
surveillée sous l’œil des autorités publiques. Paternalisme quand tu nous tiens…A
aucun moment, la possibilité qu’il s’agisse d’un choix conscient pour certaines femmes n’est envisagée.
Vous remarquerez que les signes « de distinctions religieuses » lorsqu’ils
sont arborés par des hommes trouvent beaucoup moins d’écho. Dans ce cas, il ne peut
s’agir que d’un vrai choix…évidemment.
Les effets : Bien évidemment,
les arrêtés à la rédaction volontairement nébuleuse n’ont pas tardé à donner
lieu aux premières dérives dont la plus médiatisée avec le témoignage de cette femme
voilée qui aurait été verbalisée par la police municipale à Nice pour port d’un voile sur la
plage.
Source : le Monde.fr - BESTIMAGE |
A priori, cédant à la panique et faisant
fi des discours « anti-amalgames » timidement glissés par les figures
politiques du gouvernement en place au lendemain de chaque attentat, les
autorités publiques tentent le tout pour le tout au nom de la préservation des
principes de la République (dont la laïcité) et au nom de la sécurité.
Pourtant, je ne
saisis toujours pas comment l’une et l’autre sont mises en valeur par les
mesures prises contre le burkini ou tout ce qui de près ou de loin pourrait signifier
un lien avec l’Islam.
Comment la laïcité, soudainement
chère à tous, est-elle préservée ?
Selon le Larousse, la laïcité
serait une :
Conception et organisation de la société fondée sur la séparation de
l'Église et de l'État et qui exclut les Églises de l'exercice de tout pouvoir
politique ou administratif, et, en particulier, de l'organisation de
l'enseignement.
Autrement dit, la religion ne
serait plus l’affaire de l’Etat et ce dernier serait garant de cette séparation
dans l’exercice de ses prérogatives. C’est notamment ce qui explique que l’école
publique exclut dorénavant l’enseignement et les pratiques religieuses. Néanmoins,
la laïcité, c’est aussi la garantie que chacun puisse pratiquer sa religion dès lors
que cette pratique exclut tout prosélytisme. Ainsi, on peut se promener dans la
rue avec une kippa, une croix latine ou une étoile de David autour du cou, une
tunique de moine bouddhiste ou encore un voile sur la tête.
Il est donc évident que ces arrêtés et
les verbalisations qui leur font suite, en visant une communauté religieuse en
particulier, ne semblent donc pas très respectueux de cette sacro-sainte laïcité.
Et alors qu’en est-il de notre
sécurité ? Admettons que de manière totalement assumée, on ait fait le
choix de se caler derrière l’oreille tout principe de liberté et de laïcité et
ce afin d’assurer notre sécurité, ces mesures ont-elles la moindre chance d’œuvrer
dans ce sens ? Difficile de croire que de s’attaquer à des mères de
familles ayant décidé de se laisser caresser par la vague ou tout simplement d’accompagner
leurs enfants pour la baignade ait un quelconque intérêt pour la sécurité
nationale.
En revanche, ce qui est certain, c’est que ces mesures concourent
clairement à l’institutionnalisation de l’amalgame en adoubant une croyance qui
envisage de devenir populaire à savoir Musulman = terroriste. Ainsi, en cautionnant ces
mesures, les autorités publiques inscrivent dans le marbre et banalisent cette
association insoutenable.
Ainsi, une
nouvelle fois, les Musulmans subissent la double peine, celle de l'impuissance face à l’usurpation de leur religion par des collectifs de barbares avides
de pouvoir et celle de se voir condamnés pour des crimes qu’ils n’ont pas
commis. Tous sont ainsi sommés d’abandonner
leurs convictions ou pratiques au risque de se voir bannis de l’espace public. Toute
résistance étant nécessairement lue comme un soutien au terrorisme…
Un peu comme si vous décidiez de
gifler la vendeuse H&M payée au SMIC pour combattre les ravages des conditions de
travail dans les usines de textile du Bangladesh. Cela ne changera rien, elle n’y
est pour rien mais peut-être que cela vous a fait du bien.
Le plus inquiétant, ce n’est pas
tant que les principes républicains
soient de nouveau vidés de leur substance (la liberté a ravalé son coming-out, l’égalité agonise au bas de l’escalier et la
fraternité tient le premier rôle du remake du 6ème sens) mais plutôt
que ces mesures soient complètement contre-productives en faisant de l’Administration
française et des haineux, les meilleurs RP des organisations terroristes à
vocation politique. Voilà que la matière pour alimenter la propagande
est maintenant livrée sur un plateau.
Car si des cas isolés ou des mères de
familles jugées trop couvertes ne représentent aucun danger, un lynchage public
à caractère discriminant saura trouver un écho chez tous les déracinés,
désaxés, cas désespérés, asociaux, délaissés, frustrés que la terre peut porter et qui tendront attentivement l’oreille aux propos des habiles marionnettistes
adeptes du recrutement. Sans parler des jeunes filles qui, à la manière des
gothiques, se laisseront séduire par les signes "ostentatoires" en guise de
protestation. Il faut dire que, bien que non musulmane et totalement acquise à
la cause du bikini, j’ai presque eu envie de porter un burkini, juste histoire
de dire : non mais m… quoi, je peux quand même faire ce que je veux dès lors que
je ne nuis pas à autrui !
Aussi, dès lors qu’elles sont
totalement infondées pour défendre la laïcité et inefficaces pour assurer la
sécurité, ces mesures ne seraient donc que l’expression d’une loi du Talion au
rabais et travestie, un aveu de faiblesse et d’impuissance, une expression
de l’absurdité à son paroxysme ou peut-être la conséquence de l’instrumentalisation
car après tout, à qui profite le crime en ces temps obscurs ? Il
faut bien que la haine des uns serve les autres, qu’importe si nous continuons
de vivre ces atrocités…
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