Cette année, mes lectures
estivales m’ont menée à bien des découvertes et je dois dire que celle de La Dangereuse de Loubna Abidar et Marion
Van Renterghem a trouvé un écho tout particulier chez moi. Si je n’ai pas été
sensible à l’écriture très journalistique (certainement à dessein), j’ai en
revanche eu un intérêt tout particulier pour le personnage, le contexte, les
polémiques qui ont à la fois inspiré et accompagné l’ouvrage, les révélations et
débats sociétaux sous-jacents qui ont concouru à « l’ambiance » du
livre.
L’histoire
C’est celle de la vie au début presque
romanesque de Loubna Abidar. Jeune marocaine issue d’une lignée aisée mais que
le mauvais mariage de sa mère avec un homme violent, alcoolique et en marge de
la société tiendra loin d’un destin de long fleuve tranquille qui aurait pu
être le sien. Nous la découvrons enfant, passionnée par les actrices et
réprimée dans une société qui ne voit pas d’un bon œil cette vocation naissante.
Puis, nous la suivons à l’âge adulte jusqu’à la concrétisation de son rêve :
devenir actrice. Un rêve qui glisse peu à peu vers le cauchemar.
En effet,
après avoir été une danseuse orientale émérite, une jet-setteuse en herbe grâce
à sa relation amoureuse avec un ex-roi des nuits parisiennes, Loubna Abidar
atteint enfin le sacre ultime en devenant actrice, ce non-métier équivalent pour
ceux de son entourage à celui de « pute ». Cette belle histoire à la
Cendrillon aurait pu s’achever par un mariage heureux et de nombreux enfants
mais un jour, celle-ci décide de tenir la tête d’affiche du film de Nabil
Ayouch, Much Loved.
Le tournant Much Loved
De mon île européenne, Much Loved
m’attirait. Une histoire de femmes exclues, cachées et pourtant si vivantes animant
cette plongée dans le monde de la prostitution marocaine.
Quoi de mieux que ces
films réels et tranchants qui dénoncent et dérangent. Pourtant, le temps m’avait
manqué et je n’avais pas encore eu l’occasion de le voir.
Cet été, j’ai au moins pris le
temps de lire La Dangereuse de l’actrice
principale. Au fil de chaque page, on a la sensation d’entendre, autour d’un
café, des péripéties contées de la bouche de Loubna Abidar elle-même. On
découvre alors le cauchemar auquel fût confrontée l’actrice à la sortie de ce film
interdit de diffusion au Maroc. Dès sa sortie, on apprend comme celle-ci a été
malmenée par ses proches en premier lieu, outrés qu’elle ait pu participer à
une œuvre cinématographique aussi « déshonorante » dans laquelle elle
est vue nue, fumant, jurant, se droguant.
Rejetée, dénigrée par le plus grand nombre selon son ressenti jusqu’au jour de l’agression dans les rues de Casablanca qui la
poussera à errer d’hôpital en hôpital refusant de lui prodiguer les premiers
soins avant de subir le refus du commissariat d’enregistrer sa plainte.
La surprise
Très vite, je suis
prise par ce tourment d’anecdotes déconcertantes narrées par l’auteure. Le
grand déballage de violence et de haine, auquel elle est soumise, est tellement
frappant qu’il en paraît presque extrapolé. La naïveté de celle vivant dans un
pays où une participante de télé-réalité a atteint provisoirement la notoriété suprême
pour avoir copulé dans une piscine, peine à croire que nombreux soient ceux qui parviennent à se liguer contre une seule et même personne pour avoir participer à une fiction.
Pourtant, cette naïveté ne tardera pas à se dissiper en découvrant la
déferlante de propos haineux à l’égard de l’actrice sur les réseaux sociaux. Les
plus marquants furent ceux faisant suite à cette interview de Loubna Abidar sur
le plateau de l’émission de Laurent Ruquier On n’est pas couché.
Celle-ci
est notamment accusée de trahir son pays (depuis quand le fait de relater son
histoire deviendrait une trahison ?), de faire honte à son pays, de ne
même pas savoir parler français (quand une actrice américaine tente de s’exprimer
dans un français hasardeux, nombreux sont ceux à trouver cela…cute).
Analyse des maux
Et si tout ceci n'était que le résultat
d’une rencontre des extrêmes.
D’un côté une partie de la population
marocaine qui fustige une actrice du sérail. Les courtes vues y verront l’expression
des étroits d’esprits, ceux qui s’indignent de voir dévoiler leur réalité, ceux
qui oppressent les femmes et ne souhaitent pas les voir s’épanouir. Néanmoins,
il convient de revêtir quelques temps l’habit de l’autre pour mieux
appréhender. Il est vrai que vivre au sein d’un pays dont les coutumes, traditions
sont perpétuellement pointées du doigt (notamment par les occidentaux) et voir
ce même pays mis au centre de la scène médiatique internationale pour un film
qui dénonce la prostitution, les inégalités, les attitudes rétrogrades, cela peut
contrarier ceux qui aimeraient que des aspects plus positifs soient plus souvent mis
en valeur et non constamment étouffés notamment quand cela vient de « l’intérieur ».
Aussi, je peux entendre une certaine forme de frustration découlant d'un trop plein et qui n’a pas conduit
au meilleur accueil national.
Loubna Abidar aurait-elle dû
refuser ce rôle et se taire pour ne pas offusquer son pays ?
Bien sûr que non car de l’autre
côté, la prostitution existe au Maroc comme ailleurs. Elle conduit, peut-être
plus qu’ailleurs, à des contradictions effarantes. Pourquoi ce sujet devrait
être davantage tabou. Refuser une réalité irréfutable, n’est-ce pas contribuer à
son adhésion par les non-avertis ? La meilleure manière de lutter contre les
préjugés, ne serait-elle pas de débattre sur les événements qui les confortent ?
Certes, la vision de Loubna Abidar est sans concession, néanmoins elle
correspond à un vécu et les expressions de haine dont elle a été victime ont laissé,
peut-être à regret pour ma part, peu de chance au relativisme.
Vous aurez compris que ce livre ne
laisse pas insensible tout comme les polémiques qu’il suscite et les
questionnements qu’il réveille. Il a fini de me convaincre de prendre le temps
de découvrir le film Much Loved, un délice
cinématographique, peut-être apprécié davantage du fait de la contextualisation
offerte par le livre. Aussi, je vous conseille vivement cette discussion à bâtons
rompus avec celle que je rebaptiserais bien Loubna Abidar La Courageuse.
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