mardi 8 juillet 2014

Rien à foot des idéaux



La Coupe du Monde, c’est l’occasion de boire du rosé, partir plus tôt du boulot avec le consentement de son boss car « ce soir, nous jouons notre honneur national », de parler de foot entre copines (cf. notre article sur les 5 premières bonnes raisons de s’intéresser au foot), d’accompagner son homme sur le canapé en comprenant, attendrie, les tensions qu’il subit à l’année en supportant son équipe régionale et de se peinturlurer les ongles de manière extravagante. Mais la Coupe du Monde, c’est aussi la débâcle idéologique à géométrie amplement variable car nous avons la chance d’être entourés d’esprits hautement affûtés qui pensent indispensable d’intellectualiser (ou instrumentaliser) un évènement sportif renflouant les poches de ceux qui l’orchestrent et lui donnent forme mais visant avant tout (du moins je crois) à divertir ceux qui l’observent.
Ainsi, les polémiques se suivent et malheureusement se ressemblent et s’adaptent à la lueur des résultats sportifs.
Tout d’abord, avec les premiers bons résultats des Fennecs, j’ai pu « profiter », grâce à la magie libératrice des réseaux sociaux, des nombreux commentaires taquins pour les plus softs mais surtout offensifs pour les moins subtils à l’égard des supporters algériens. Ce fût d’ailleurs, l’occasion de constater qu’une ancienne connaissance de fac qui traîne dans mes contacts Facebook, a depuis bien longtemps relégué au placard ses idéaux de liberté, égalité et surtout fraternité finalement limitée au prêt de copies doubles et de notes de cours séchés. La fac est aujourd’hui bien loin et la cible n’est plus le « capitalisme », qui semblait bien plus dangereux, attablée devant ses coquillettes au ketchup dans son déjà coquet studio, mais l’Etranger (vaste notion fourre-tout qui englobe aussi les Français nés en France mais ayant des origines étrangères). Lui qui s’est révélé être l’ennemi public n°1 depuis que les murs de son 3 pièces ne semblent pas la préserver des méfaits de la crise économique.
Ainsi, les supporters des Fennecs ont été accusés de nombreux maux mais surtout ont fait l’objet de (trop) nombreux procès d’intention. Les joueurs algériens n’avaient même pas encore chaussé leurs crampons que déjà on prédisait une France à feu et à sang en cas de victoire voire pire en cas de confrontation France/Algérie car il va de soi qu’il allait falloir choisir son « camp » ! Certains ont même imaginé interdire la double nationalité pour limiter les débordements. Idée lumineuse ! L’intégration passant évidemment par la négation de soi, l’obtention du saint-graal national vous empêcherait alors immédiatement de persister dans vos comportements « déviants ». Ainsi, l’Américain devenant Français se verrait, dès obtention de sa nationalité, libéré de ses démons et complètement phobique à la simple vue d’un hamburger.
Tous ces commentaires m’ont incitée à me prêter à un petit exercice cher à Laurence Ferrari : Vis ma vie de Maghrébin en France. Pendant quelques minutes, je me suis imaginée, Française, d’origine algérienne, rentrant d’une dure journée de labeur et allumant son poste de télévision ou parcourant son mur Facebook. Française mais déjà toute l’année contrainte de subir les amalgames en tout genre pointant du doigt mes origines, dessinant les contours de ma culture façonnée essentiellement de préjugés et finalement si peu connue, mais auxquels je me suis faite. Même pendant la Coupe du Monde, un de ces rares moments hors du temps qui inspire la cohésion, je ne pourrais donc pas profiter des performances de « mon » équipe (oui j’ose le « mon ») sans être accusée par anticipation du chaos qui s’abattra en cas de victoire, sans être accusée de renier la France, sans être obligée de choisir « mon camp ». Le monopole de l’euphorie serait donc le privilège des Français d’origine française ancestrale, je devrais donc me retenir de partager ce moment avec mes proches, ma famille d’ici et de là-bas car il est bien connu que la joie est une notion indivisible qui n’élit domicile qu’en un seul lieu, ne m’autorisant pas à partager  l’émotion du pays dans lequel je suis née et dans lequel je paie des impôts et celle du pays qui a vu naître mes parents ou mes grands-parents.
Au risque d’énerver les fervents défenseurs de la théorie de la victimisation, je devrais évidemment supporter cela sans la moindre frustration car la chance de vivre en France m’aurait conféré le pouvoir de faire abstraction heureuse de tout cela…Pourquoi pas. Permettez-moi cependant de douter de toutes ces évidences qui pourtant ne semblent pas transposables aux Français d’origine allemande par exemple qui ne se sont peut-être pas vus infliger les mêmes ultimatums idéologiques.
Mais les débats idéologiques n’en sont pas restés là et se sont précisés avec les résultats de l’équipe de France. Sauf que cette fois, ils n’ont pas manqué d’imagination nos chers joueurs et ont corsé la tâche en allant jusqu’en quarts de finale soit trop loin pour se voir taxés d’extrémistes sous couverture, de délinquants millionnaires, d’ennemis de la Nation mais pas assez loin pour ressortir du placard la bannière bien-pensante du « Blacks-Blancs-Beurs » et nous permettre de revivre pendant quelques mois, le rêve de la France unie. Cela dit, cela permet de peaufiner les théories et de fomenter de nouvelles polémiques toutes aussi imaginatives que pertinentes sur des Français d’origines étrangères trop ou pas assez Français au gré de leur capacité à s’émouvoir trop ou pas assez de la défaite de l’équipe de France car si la victoire les consacre tous comme Français la défaite oblige à le prouver ou à le mériter.
Je m’interroge donc sur le bien-fondé de cette idéologie dominante (ou du moins rendue dominante par sa sur-médiatisation) qui oscille entre rejet de l’autre et intégration sous conditions au vu du nombre de buts marqués. Cette dépendance entre idéologies et sorts ludiques ne serait-elle pas la preuve de rancœurs nourries de frustrations qui trouveraient leurs sources dans une toute autre sphère que celle des faits ou de la raison ? Lorsque les balancements idéologiques mettent à jour des détestations irrationnelles, on peut s’interroger sur l’impérieuse nécessité d’identifier les causes réelles mais, qui cela intéresse-t-il ? Certainement, pas l’assassin de Ghislaine Marchal…

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