La Coupe du Monde, c’est
l’occasion de boire du rosé, partir plus tôt du boulot avec le consentement de
son boss car « ce soir, nous jouons notre honneur national », de
parler de foot entre copines (cf. notre article sur les 5 premières bonnes raisons de s’intéresser au foot), d’accompagner son homme sur le canapé en
comprenant, attendrie, les tensions qu’il subit à l’année en supportant son
équipe régionale et de se peinturlurer les ongles de manière extravagante. Mais
la Coupe du Monde, c’est aussi la débâcle idéologique à géométrie amplement
variable car nous avons la chance d’être entourés d’esprits hautement affûtés
qui pensent indispensable d’intellectualiser (ou instrumentaliser) un évènement
sportif renflouant les poches de ceux qui l’orchestrent et lui donnent forme
mais visant avant tout (du moins je crois) à divertir ceux qui l’observent.
Ainsi, les polémiques se suivent
et malheureusement se ressemblent et s’adaptent à la lueur des résultats
sportifs.
Tout d’abord, avec les premiers
bons résultats des Fennecs, j’ai pu « profiter », grâce à la magie
libératrice des réseaux sociaux, des nombreux commentaires taquins pour les
plus softs mais surtout offensifs pour les moins subtils à l’égard des
supporters algériens. Ce fût d’ailleurs, l’occasion de constater qu’une
ancienne connaissance de fac qui traîne dans mes contacts Facebook, a depuis
bien longtemps relégué au placard ses idéaux de liberté, égalité et surtout
fraternité finalement limitée au prêt de copies doubles et de notes de cours
séchés. La fac est aujourd’hui bien loin et la cible n’est plus le
« capitalisme », qui semblait bien plus dangereux, attablée devant ses
coquillettes au ketchup dans son déjà coquet studio, mais l’Etranger (vaste notion
fourre-tout qui englobe aussi les Français nés en France mais ayant des
origines étrangères). Lui qui s’est révélé être l’ennemi public n°1 depuis que
les murs de son 3 pièces ne semblent pas la préserver des méfaits de la crise
économique.
Ainsi, les supporters des Fennecs
ont été accusés de nombreux maux mais surtout ont fait l’objet de (trop)
nombreux procès d’intention. Les joueurs algériens n’avaient même pas encore
chaussé leurs crampons que déjà on prédisait une France à feu et à sang en cas
de victoire voire pire en cas de confrontation France/Algérie car il va de soi
qu’il allait falloir choisir son « camp » ! Certains ont
même imaginé interdire la double nationalité pour limiter les débordements.
Idée lumineuse ! L’intégration passant évidemment par la négation de soi,
l’obtention du saint-graal national vous empêcherait alors immédiatement de persister
dans vos comportements « déviants ». Ainsi, l’Américain devenant
Français se verrait, dès obtention de sa nationalité, libéré de ses démons et complètement
phobique à la simple vue d’un hamburger.
Tous ces commentaires m’ont
incitée à me prêter à un petit exercice cher à Laurence Ferrari : Vis ma vie de Maghrébin en France.
Pendant quelques minutes, je me suis imaginée, Française, d’origine algérienne,
rentrant d’une dure journée de labeur et allumant son poste de télévision ou
parcourant son mur Facebook. Française mais déjà toute l’année contrainte de
subir les amalgames en tout genre pointant du doigt mes origines, dessinant les
contours de ma culture façonnée essentiellement de préjugés et finalement si
peu connue, mais auxquels je me suis faite. Même pendant la Coupe du Monde, un
de ces rares moments hors du temps qui inspire la cohésion, je ne pourrais donc
pas profiter des performances de « mon » équipe (oui j’ose le
« mon ») sans être accusée par anticipation du chaos qui s’abattra en
cas de victoire, sans être accusée de renier la France, sans être obligée de
choisir « mon camp ». Le monopole de l’euphorie serait donc le
privilège des Français d’origine française ancestrale, je devrais donc me
retenir de partager ce moment avec mes proches, ma famille d’ici et de là-bas
car il est bien connu que la joie est une notion indivisible qui n’élit
domicile qu’en un seul lieu, ne m’autorisant pas à partager l’émotion du pays dans lequel je suis née
et dans lequel je paie des impôts et celle du pays qui a vu naître mes parents
ou mes grands-parents.
Au risque d’énerver les fervents
défenseurs de la théorie de la victimisation, je devrais évidemment supporter
cela sans la moindre frustration car la chance de vivre en France m’aurait
conféré le pouvoir de faire abstraction heureuse de tout cela…Pourquoi pas.
Permettez-moi cependant de douter de toutes ces évidences qui pourtant ne
semblent pas transposables aux Français d’origine allemande par exemple qui ne
se sont peut-être pas vus infliger les mêmes ultimatums idéologiques.
Mais les débats idéologiques n’en
sont pas restés là et se sont précisés avec les résultats de l’équipe de
France. Sauf que cette fois, ils n’ont pas manqué d’imagination nos chers
joueurs et ont corsé la tâche en allant jusqu’en quarts de finale soit trop
loin pour se voir taxés d’extrémistes sous couverture, de délinquants millionnaires,
d’ennemis de la Nation mais pas assez loin pour ressortir du placard la
bannière bien-pensante du « Blacks-Blancs-Beurs » et nous permettre
de revivre pendant quelques mois, le rêve de la France unie. Cela dit, cela
permet de peaufiner les théories et de fomenter de nouvelles polémiques toutes
aussi imaginatives que pertinentes sur des Français d’origines étrangères trop
ou pas assez Français au gré de leur capacité à s’émouvoir trop ou pas assez de
la défaite de l’équipe de France car si la victoire les consacre tous comme Français
la défaite oblige à le prouver ou à le mériter.
Je m’interroge donc sur le
bien-fondé de cette idéologie dominante (ou du moins rendue dominante par sa
sur-médiatisation) qui oscille entre rejet de l’autre et intégration sous
conditions au vu du nombre de buts marqués. Cette dépendance entre idéologies
et sorts ludiques ne serait-elle pas la preuve de rancœurs nourries de
frustrations qui trouveraient leurs sources dans une toute autre sphère que
celle des faits ou de la raison ? Lorsque les balancements idéologiques mettent à jour des
détestations irrationnelles, on peut s’interroger sur l’impérieuse nécessité
d’identifier les causes réelles mais, qui cela intéresse-t-il ?
Certainement, pas l’assassin de Ghislaine Marchal…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire