Crédits Photos : Aline Rabusseau
Il y a peu, en flânant dans les allées du Salon AfricaParis, j’ai été attirée par les créations originales et les couleurs chatoyantes du stand de la boutique June Shop. Après un échange agréable avec Nelly qui tient le stand, je repars avec une paire de boucles d’oreilles légères et finement waxées qui n’ont pas manqué de faire des ravages auprès des fashionistas qui m’entourent. Cela a fini d’éveiller ma curiosité sur cette marque créée par Nelly. C’est ainsi que quelques jours plus tard, je me suis retrouvée dans le douillet atelier June Shop pour en savoir plus sur cette créatrice d’entreprise.
Crédits Photos : Aline Rabusseau
1.
Pouvez-vous
vous présenter et nous présenter June Shop ?
Je m’appelle Nelly Mbonou, j’ai
35 ans et je suis la créatrice de la marque de prêt-à-porter June Shop. J’ai créé
le concept en 2001 en déposant le nom de la marque. Cependant, j’en vis et y
travaille exclusivement depuis 2005.
Je suis née au Cameroun, j’ai
grandi entre Paris et Yaoundé où vivent actuellement mes parents et
pratiquement toute ma famille. L’idée de June Shop m’est venue car en France je
ne trouvais pas de vêtements à mon goût mélangeant tissus africains et coupes
modernes, des vêtements que j’aurais donc pu porter étudiante ou dans ma vie de
jeune femme active mais également en toute saison, été comme hiver, pour aller
danser, pour sortir ou encore pour aller à la fac.
2.
Avez-vous
une formation de stylisme ?
Pas du tout. J’ai fait des études
de lettres et de philosophie ainsi qu’un peu d’arts plastiques mais je n’ai pas
de formation particulière dans le stylisme, j’ai évolué en autodidacte.
Aujourd’hui, je me charge des prototypes et des pièces n°1 mais les séries sont
produites au Cameroun dans un atelier responsable de Yaoundé.
Cet atelier que j’ai mis du temps
à mettre en place dans un contexte compliqué accueille aujourd’hui 7
couturières. Toutes mes matières premières proviennent du Cameroun, les wax
mais également les autres matières que j’utilise et avec lesquelles je mélange
le wax comme le velours, le crêpe ou tout autre matériau (similicuir, jean,
fournitures telles que les fermetures, etc). Je travaille notamment avec la CICAM,
LA manufacture textile nationale[1],
qui produit certes du wax mais également tout autre produit textile. Il était
important pour moi d’exporter la culture mais aussi, à ma petite échelle, de
participer à l’économie locale voire nationale en produisant toutes mes
collections et créations là-bas.
Atelier June Shop - Crédits Photos : KKISS
[1]NDLR : Il est très rare pour un pays d’Afrique noire d’avoir des usines textiles et de ne pas dépendre exclusivement d’importations dans ce domaine, la CICAM est la seule société pour ce type de production au Cameroun.
3.
Avez-vous
rencontré des difficultés particulières lors de la création de June Shop ?
Je n’ai pas eu de prêt bancaire
et j’ai tout créé avec mes petites économies. En France, on ne prête pas aux créateurs.
On prête aux innovateurs, à ceux qui ont quelque chose à breveter alors que moi
j’étais dans le stylisme donc je n’inventais rien. Les banques, surtout à
l’époque, étaient donc très sceptiques. En tant qu’autodidacte, se former toute
seule ce n’est pas évident. Toutefois, c’est aussi une de mes forces car comme
je n’étais pas dans un sérail, j’étais très ouverte d’esprit et avide
d’expérimenter plein de choses. J’ai certes connu des difficultés mais comme
pour toute activité entrepreneuriale. L’entreprenariat, c’est dur tout comme
être indépendant mais c’est une question de caractère, il faut avoir plusieurs
cordes à son arc, ce n’est pas évident mais c’est un choix que je ne regrette
pas.
4.
Faites-vous
du sur-mesure ?
Je décline tous mes modèles en petites séries du 34 au 50, mais quand un
modèle est en rupture de stock ou qu’il n’y a plus la taille souhaitée, je peux
faire du sur-mesure ; j’ai un panel de tissus, la cliente choisit son tissu et
son assemblage, je peux même apporter de légères modifications du type
longueur, boutonnage, etc ; et après un délai maximum d’1 mois, elle
repart avec SA pièce unique ! Il n’y a que pour les robes de mariée que je fais
un véritable travail de création en fonction des envies, de la morphologie mais
aussi du budget de la future mariée.
5.
Quelle
est la clientèle de June Shop ?
Aujourd’hui, je suis assez fière
de ma clientèle. Elle a évolué avec moi, avec le temps, avec le marché. Quand
j’ai commencé, la grande majorité de mes clientes était des Françaises
blanches. Aujourd’hui, elle se compose d’un tiers de Françaises blanches, d’un
tiers de Françaises d’origine caribéenne et d’un tiers de Françaises d’origine
africaine âgées en moyenne de 25 à 40 ans. Il s’agit réellement d’une moyenne
car ma cliente la plus âgée a 90 ans et la plus jeune a 15 ans.
Crédits Photos : Aline Rabusseau
Selon moi, la clientèle a évolué
au gré de plusieurs facteurs dont :
-
L’augmentation du pouvoir d’achat avec une
génération afro qui commence à accéder à des postes intéressants et possède
donc un panier d’achat plus élevé dédié à la mode.
-
Les mutations sociales avec une population afro
qui peut, si elle le souhaite, s’affirmer davantage dans ses origines et
souffre de moins en moins de troubles au regard de cette question alors que la
génération précédente souhaitait plus se fondre dans la masse notamment d’un
point de vue vestimentaire. Les jeunes femmes assument plus leur identité et
sont de moins en moins dans un mythe d’assimilation.
Je tente de créer des vêtements
qui certes utilisent des tissus africains mais que l’on peut intégrer à une
garde-robe contemporaine. Je ne prône pas le total look mais j’aime travailler
sur des touches que l’on peut mixer à sa garde-robe. Les Caribéennes sont
beaucoup plus nombreuses à porter du wax et sont de plus en plus friandes de tissus africains
alors qu’il y a quelques années c’était plutôt un rejet. En discutant et en
voyant ma clientèle évoluer, je me rends compte que c’est également une
question d’éducation un peu comme le rejet du « parler créole ».
Crédits Photos : Aline Rabusseau
Cela étant dit, je travaille le
wax comme n’importe quelle matière première. Ce n’est pas un geste politique
mais cela a été compliqué de faire entendre aux gens que c’était une matière
comme une autre. J’aime le travailler car j’aime les couleurs et le panel de
motifs infini qu’il offre, c’est une
source inépuisable d’inspiration pour moi, même si j’ai beaucoup entendu
et j’entends encore, « Vous, ça vous va bien parce que vous êtes comme
ceci ou comme cela ». Il y a tellement de couleurs et de motifs différents
que, comme pour une couleur de cheveux, il s’adapte à la carnation, à la
morphologie de chacune. Tout le monde peut trouver un wax qui lui convienne
donc j’essaie d’avoir un panel large en termes de motifs et de styles.
6.
Quel
est le rythme de vos collections ?
Je fais deux collections par an,
printemps/été et automne/hiver car s’agissant de prêt-à-porter, il est
indispensable de coller au calendrier des saisons. Cependant, chaque mois, j’ai
un réassort au regard de ce qui a bien marché. J’écoute également les clientes,
certains modèles évoluent en fonction de leur rencontre avec le public ou
parfois au sortir des modèles j’ai envie de les faire évoluer en changeant la matière
par exemple. Ainsi, les perfectos ont été déclinés en cuir, en crêpes, en velours
ou complètement en wax.
7.
Intéressez-vous
au cas des Hommes ?
J’ai fait une collection Hommes
il y a quelques années mais c’était surtout les femmes qui achetaient pour
leurs hommes et nous savons toutes ce qui se passe avec les vêtements achetés
pour nos hommes… Ils restent dans les placards et sont portés une fois pour
dire « Ah, je l’ai mis ! ». Il y avait aussi des femmes qui achetaient
car elles aimaient bien s’habiller plus ample. Toutefois, je m’amusais beaucoup
moins en faisant des vêtements pour hommes. Par ailleurs, à titre personnel, je
préfère les choses assez basiques pour les hommes type chemise, jean. Je ne souhaitais
pas faire des choses avec trop de fioritures. Parfois, j’ai de la demande mais
cela ne m’inspire pas plus que cela. Il m’arrive de le faire pour de occasions
particulières telles que les mariages ou les cérémonies.
8.
Vous
mettez en avant des mannequins très différents dans vos campagnes, de toutes
ethnies, toutes morphologies, est-ce un de vos chevaux de bataille ?
Cela colle en fait à une réalité,
surtout à Paris où l’on voit toutes sortes de beautés, d’origines. Pourtant le
milieu de la mode ne montre qu’un type de personne. Je pense que c’est une des
grandes richesses de la France que d’avoir
ce panel d’origines diverses formant une Nation.
C’est pour cela que je tiens à
décliner mes vêtements du 34 au 50, du S au XL. Je sais que tout le monde n’a
pas les mêmes critères de beauté féminins. En Afrique nous sommes souvent plus
proches du 44 que du 34. La morphologie afro n’est pas la même que la morphologie
européenne, je tente de proposer des coupes adaptées à toutes les morphologies,
le but étant d’avoir une mode qui s’adapte à la femme et non l’inverse.
9.
Considérez-vous
que le mode de production choisi s’inscrit dans un système gagnant-gagnant
(gagnant pour les personnes travaillant à la production et gagnant pour votre
clientèle) ?
Le prix moyen de mes pièces se
situe entre 70 et 80 € allant du top à 40 € au manteau à 200 €. Ces prix
avoisinent ceux de la grande distribution alors que dans ce cas il s’agit d’une
production massive avec des matières de moins bonne qualité. Les gens
commencent à comprendre que ce n’est pas le même type de production, les mêmes
matériaux et le même service après-vente aussi car je m’occupe également des
retouches.
Les ouvriers et ouvrières sont
payés à la pièce, un tee-shirt n’étant
pas payé au même prix qu’une robe à volants. Ce n’est pas un système à la
journée qui ne serait pas adapté à l’économie du pays et aux mentalités. C’est un
système honnête des deux côtés. Cela permet également une certaine adaptabilité
et une autonomie au niveau de l’atelier car je ne souhaitais pas que l’atelier
soit complètement dépendant de mon activité. Les mois où c’est plus compliqué,
il continue de fonctionner car une fois ma production achevée et sous réserve
de validation préalable par mes soins, les ouvriers peuvent prendre d’autres
commandes et utiliser les machines, ce
qui leur permet d’élever leur niveau de vie. Ainsi, en période de rentrée
scolaire, l’atelier peut assurer la production des uniformes d’écoliers. L’atelier
peut également travailler pour les créateurs qui n’ont pas de système de
production. De cette manière, il vit en continue.
10.
Travaillez-vous
seule ?
Oui. Ponctuellement, pour
certains évènements, je sollicite des stagiaires ou je travaille en
partenariats. Au lancement de la marque, nous étions deux associées. Nous avons
arrêté notre collaboration en 2009. J’ai alors racheté les parts de mon
associée.
A l’époque nous avions une
boutique sous le cimetière Montmartre dans le 18ème que j’ai tenu
pendant 6 ans. Après l’arrêt de notre collaboration, j’ai tenu la boutique
pendant 2 ans encore mais la création, la boutique et la vie de famille, c’était trop lourd.
Lorsque mon fils a débuté l’école primaire, j’ai dû faire des choix. J’ai donc
décidé de fermer la boutique afin d’avoir plus de temps pour lui et le suivre
scolairement. C’est à ce moment que j’ai développé le site marchand, la
distribution et l’export. J’ai transformé mon appartement afin de disposer
d'une grande pièce pour recevoir tous les jours entre 10h et 19h30 des
clientes, des partenaires, etc. J’ai complètement changé de mode de
fonctionnement.
11.
Quel
est le Top 3 des satisfactions apportées par la création de sa propre
entreprise ?
Atelier June Shop - Crédits Photos : KKISS
Atelier June Shop - Crédits Photos : KKISS
- L’indépendance,
- Le fait d’être en perpétuel challenge, en créant ses propres règles,
- Le côté créatif et le fait d’être toujours en mouvement.
C’est un véritable luxe de vivre
de ce que l’on aime, de ce que l’on a choisi mais contrairement à ce que l’on
me dit souvent ce n’est pas de la chance mais le résultat d’un travail
perpétuel. Le revers de la médaille, c’est qu’il n’y a pas de filets de
sécurité, pas de congés maladie ou d’Assedic. En dépit de cela, si je devais
m’arrêter de faire des vêtements, je remonterais certainement une autre structure
car j’aime l’entreprenariat.
12.
Est-ce
facile d’allier vie personnelle et vie professionnelle ?
Auparavant, je travaillais 7
jours / 7 jours sans vacances, c’était dur pour mon entourage. Il est
indispensable d’avoir un entourage solide qui soit partie prenante dans l’entreprenariat,
je pense notamment au conjoint car ce n’est pas évident d’être avec quelqu’un
qui travaille 24H/24H. Il faut donc savoir se ménager des moments familiaux et
amicaux de qualité même s’ils sont courts, c’est très important notamment pour les
enfants. Mon fils est né là-dedans donc pour lui c’est un peu la normalité.
Toutefois, j’explique toujours au corps enseignant ce que je fais afin qu’il
comprenne notre rythme de vie.
J’ai cependant dû me remettre en question en tant que femme
pour ne pas impacter mon entourage par mon choix de vie. Après avoir fermé la
boutique, j’ai mis 6 mois à trouver un bon rythme. Je n’aurais pas pu être
épanouie si mon entourage proche ne l’était pas, il faut arriver à trouver un
équilibre.
13.
Quelle
est la personnalité qui vous inspire ?
Ma mère. Je ne suis pas du genre
à admirer de grandes icônes. J’ai toujours connu ma mère en train de travailler,
monter des affaires, élever ses 4 enfants, reprendre des études et s’adapter.
Maintenant que je suis adulte, je me rends compte de tout le travail qu’elle a
accompli. Je pense tenir d’elle cet esprit entrepreneurial.
14.
Quelles
sont les pièces phares du moment chez June Shop ?
Je travaille beaucoup sur la réversibilité.
Les manteaux réversibles et bi-matières ont bien fonctionné. Il y a également
de nouveaux modèles qui sortiront en mars, j’ai notamment retravaillé le perfecto,
un modèle que j’aime bien. Il y a aussi les vestes réversibles et les petites
robes Babydoll. Le thème du nouveau lookbook sera Amazone.
Crédits Photos : Aline Rabusseau
Crédits Photos : Aline Rabusseau
15.
Quels
sont vos projets pour June Shop ?
Je souhaite continuer à me
développer à l’export en trouvant de nouveaux points de vente car j’aimerais
bien « lever le pied » pour pouvoir me consacrer à de nouveaux projets
toujours liés à la création. June Shop est déjà distribué dans les Caraïbes
(Guadeloupe, Jamaïque), à Miami, en Suisse, en Belgique et je suis en
pourparlers à New York. Je tente
maintenant de trouver des points de vente fixes en Amérique Latine, notamment au
Brésil et aux Etats-Unis. En fonction des pays, je m’adapte car la demande
n’est pas la même au Japon et dans les Caraïbes par exemple. June Shop a donc notamment vocation à se développer à l'échelle internationale.
Un grand merci à Nelly pour sa
disponibilité, son accueil et sa conviavilité. Vous pouvez
découvrir toutes les Créations June Shop et la toute nouvelle Collection
Amazone sur le site.
Si vous voulez participer à la vente privée du samedi 28 mars prochain, demander votre invitation via invitation@juneshop.net
Que le wax soit avec vous !
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