dimanche 8 mars 2015

Parcours de femmes créatrices d’entreprise - Episode 5 : Rencontre avec June Shop


Crédits Photos : Aline Rabusseau

Il y a peu, en flânant dans les allées du Salon AfricaParis, j’ai été attirée par les créations originales et les couleurs chatoyantes du stand de la boutique June Shop. Après un échange agréable avec Nelly qui tient le stand, je repars avec une paire de boucles d’oreilles légères et finement waxées qui n’ont pas manqué de faire des ravages auprès des fashionistas qui m’entourent. Cela a fini d’éveiller ma curiosité sur cette marque créée par Nelly. C’est ainsi que quelques jours plus tard, je me suis retrouvée dans le douillet atelier June Shop pour en savoir plus sur cette créatrice d’entreprise.
Crédits Photos : Aline Rabusseau
 

1.       Pouvez-vous vous présenter et nous présenter June Shop ?

Je m’appelle Nelly Mbonou, j’ai 35 ans et je suis la créatrice de la marque de prêt-à-porter June Shop. J’ai créé le concept en 2001 en déposant le nom de la marque. Cependant, j’en vis et y travaille exclusivement depuis 2005.

Je suis née au Cameroun, j’ai grandi entre Paris et Yaoundé où vivent actuellement mes parents et pratiquement toute ma famille. L’idée de June Shop m’est venue car en France je ne trouvais pas de vêtements à mon goût mélangeant tissus africains et coupes modernes, des vêtements que j’aurais donc pu porter étudiante ou dans ma vie de jeune femme active mais également en toute saison, été comme hiver, pour aller danser, pour sortir ou encore pour aller à la fac.

2.       Avez-vous une formation de stylisme ?

Pas du tout. J’ai fait des études de lettres et de philosophie ainsi qu’un peu d’arts plastiques mais je n’ai pas de formation particulière dans le stylisme, j’ai évolué en autodidacte. Aujourd’hui, je me charge des prototypes et des pièces n°1 mais les séries sont produites au Cameroun dans un atelier responsable de Yaoundé.

Cet atelier que j’ai mis du temps à mettre en place dans un contexte compliqué accueille aujourd’hui 7 couturières. Toutes mes matières premières proviennent du Cameroun, les wax mais également les autres matières que j’utilise et avec lesquelles je mélange le wax comme le velours, le crêpe ou tout autre matériau (similicuir, jean, fournitures telles que les fermetures, etc). Je travaille notamment avec la CICAM, LA manufacture textile nationale[1], qui produit certes du wax mais également tout autre produit textile. Il était important pour moi d’exporter la culture mais aussi, à ma petite échelle, de participer à l’économie locale voire nationale en produisant toutes mes collections et créations là-bas.
 
Atelier June Shop - Crédits Photos : KKISS

[1]NDLR : Il est très rare pour un pays d’Afrique noire d’avoir des usines textiles et de ne pas dépendre exclusivement d’importations dans ce domaine, la CICAM est la seule société pour ce type de production au Cameroun.
  

3.       Avez-vous rencontré des difficultés particulières lors de la création de June Shop ?

Je n’ai pas eu de prêt bancaire et j’ai tout créé avec mes petites économies. En France, on ne prête pas aux créateurs. On prête aux innovateurs, à ceux qui ont quelque chose à breveter alors que moi j’étais dans le stylisme donc je n’inventais rien. Les banques, surtout à l’époque, étaient donc très sceptiques. En tant qu’autodidacte, se former toute seule ce n’est pas évident. Toutefois, c’est aussi une de mes forces car comme je n’étais pas dans un sérail, j’étais très ouverte d’esprit et avide d’expérimenter plein de choses. J’ai certes connu des difficultés mais comme pour toute activité entrepreneuriale. L’entreprenariat, c’est dur tout comme être indépendant mais c’est une question de caractère, il faut avoir plusieurs cordes à son arc, ce n’est pas évident mais c’est un choix que je ne regrette pas.

4.       Faites-vous du sur-mesure ?

Je décline tous mes modèles en petites séries du 34 au 50, mais quand un modèle est en rupture de stock ou qu’il n’y a plus la taille souhaitée, je peux faire du sur-mesure ; j’ai un panel de tissus, la cliente choisit son tissu et son assemblage, je peux même apporter de légères modifications du type longueur, boutonnage, etc ; et après un délai maximum d’1 mois, elle repart avec SA pièce unique ! Il n’y a que pour les robes de mariée que je fais un véritable travail de création en fonction des envies, de la morphologie mais aussi du budget de la future mariée.

5.       Quelle est la clientèle de June Shop ?

Aujourd’hui, je suis assez fière de ma clientèle. Elle a évolué avec moi, avec le temps, avec le marché. Quand j’ai commencé, la grande majorité de mes clientes était des Françaises blanches. Aujourd’hui, elle se compose d’un tiers de Françaises blanches, d’un tiers de Françaises d’origine caribéenne et d’un tiers de Françaises d’origine africaine âgées en moyenne de 25 à 40 ans. Il s’agit réellement d’une moyenne car ma cliente la plus âgée a 90 ans et la plus jeune a 15 ans.

Crédits Photos : Aline Rabusseau
Selon moi, la clientèle a évolué au gré de plusieurs facteurs dont :

-          L’augmentation du pouvoir d’achat avec une génération afro qui commence à accéder à des postes intéressants et possède donc un panier d’achat plus élevé dédié à la mode.

-          Les mutations sociales avec une population afro qui peut, si elle le souhaite, s’affirmer davantage dans ses origines et souffre de moins en moins de troubles au regard de cette question alors que la génération précédente souhaitait plus se fondre dans la masse notamment d’un point de vue vestimentaire. Les jeunes femmes assument plus leur identité et sont de moins en moins dans un mythe d’assimilation.

Je tente de créer des vêtements qui certes utilisent des tissus africains mais que l’on peut intégrer à une garde-robe contemporaine. Je ne prône pas le total look mais j’aime travailler sur des touches que l’on peut mixer à sa garde-robe. Les Caribéennes sont beaucoup plus nombreuses à porter du wax et  sont de plus en plus friandes de tissus africains alors qu’il y a quelques années c’était plutôt un rejet. En discutant et en voyant ma clientèle évoluer, je me rends compte que c’est également une question d’éducation un peu comme le rejet  du « parler créole ».

Crédits Photos : Aline Rabusseau
 
Cela étant dit, je travaille le wax comme n’importe quelle matière première. Ce n’est pas un geste politique mais cela a été compliqué de faire entendre aux gens que c’était une matière comme une autre. J’aime le travailler car j’aime les couleurs et le panel de motifs infini qu’il offre, c’est une  source inépuisable d’inspiration pour moi, même si j’ai beaucoup entendu et j’entends encore, « Vous, ça vous va bien parce que vous êtes comme ceci ou comme cela ». Il y a tellement de couleurs et de motifs différents que, comme pour une couleur de cheveux, il s’adapte à la carnation, à la morphologie de chacune. Tout le monde peut trouver un wax qui lui convienne donc j’essaie d’avoir un panel large en termes de motifs et de styles.
 
6.       Quel est le rythme de vos collections ?

Je fais deux collections par an, printemps/été et automne/hiver car s’agissant de prêt-à-porter, il est indispensable de coller au calendrier des saisons. Cependant, chaque mois, j’ai un réassort au regard de ce qui a bien marché. J’écoute également les clientes, certains modèles évoluent en fonction de leur rencontre avec le public ou parfois au sortir des modèles j’ai envie de les faire évoluer en changeant la matière par exemple. Ainsi, les perfectos ont été déclinés en cuir, en crêpes, en velours ou complètement en wax.

7.       Intéressez-vous au cas des Hommes ?

J’ai fait une collection Hommes il y a quelques années mais c’était surtout les femmes qui achetaient pour leurs hommes et nous savons toutes ce qui se passe avec les vêtements achetés pour nos hommes… Ils restent dans les placards et sont portés une fois pour dire « Ah, je l’ai mis ! ». Il y avait aussi des femmes qui achetaient car elles aimaient bien s’habiller plus ample. Toutefois, je m’amusais beaucoup moins en faisant des vêtements pour hommes. Par ailleurs, à titre personnel, je préfère les choses assez basiques pour les hommes type chemise, jean. Je ne souhaitais pas faire des choses avec trop de fioritures. Parfois, j’ai de la demande mais cela ne m’inspire pas plus que cela. Il m’arrive de le faire pour de occasions particulières telles que les mariages ou les cérémonies.

8.       Vous mettez en avant des mannequins très différents dans vos campagnes, de toutes ethnies, toutes morphologies, est-ce un de vos chevaux de bataille ?

Cela colle en fait à une réalité, surtout à Paris où l’on voit toutes sortes de beautés, d’origines. Pourtant le milieu de la mode ne montre qu’un type de personne. Je pense que c’est une des grandes richesses de la France  que d’avoir ce panel d’origines diverses formant une Nation.

C’est pour cela que je tiens à décliner mes vêtements du 34 au 50, du S au XL. Je sais que tout le monde n’a pas les mêmes critères de beauté féminins. En Afrique nous sommes souvent plus proches du 44 que du 34. La morphologie afro n’est pas la même que la morphologie européenne, je tente de proposer des coupes adaptées à toutes les morphologies, le but étant d’avoir une mode qui s’adapte à la femme et non l’inverse.

9.       Considérez-vous que le mode de production choisi s’inscrit dans un système gagnant-gagnant (gagnant pour les personnes travaillant à la production et gagnant pour votre clientèle) ?

Le prix moyen de mes pièces se situe entre 70 et 80 € allant du top à 40 € au manteau à 200 €. Ces prix avoisinent ceux de la grande distribution alors que dans ce cas il s’agit d’une production massive avec des matières de moins bonne qualité. Les gens commencent à comprendre que ce n’est pas le même type de production, les mêmes matériaux et le même service après-vente aussi car je m’occupe également des retouches.

Les ouvriers et ouvrières sont payés à la pièce,  un tee-shirt n’étant pas payé au même prix qu’une robe à volants. Ce n’est pas un système à la journée qui ne serait pas adapté à l’économie du pays et aux mentalités. C’est un système honnête des deux côtés. Cela permet également une certaine adaptabilité et une autonomie au niveau de l’atelier car je ne souhaitais pas que l’atelier soit complètement dépendant de mon activité. Les mois où c’est plus compliqué, il continue de fonctionner car une fois ma production achevée et sous réserve de validation préalable par mes soins, les ouvriers peuvent prendre d’autres commandes  et utiliser les machines, ce qui leur permet d’élever leur niveau de vie. Ainsi, en période de rentrée scolaire, l’atelier peut assurer la production des uniformes d’écoliers. L’atelier peut également travailler pour les créateurs qui n’ont pas de système de production. De cette manière, il vit en continue.

10.   Travaillez-vous seule ?

Oui. Ponctuellement, pour certains évènements, je sollicite des stagiaires ou je travaille en partenariats. Au lancement de la marque, nous étions deux associées. Nous avons arrêté notre collaboration en 2009. J’ai alors racheté les parts de mon associée.

A l’époque nous avions une boutique sous le cimetière Montmartre dans le 18ème que j’ai tenu pendant 6 ans. Après l’arrêt de notre collaboration, j’ai tenu la boutique pendant 2 ans encore mais la création, la boutique  et la vie de famille, c’était trop lourd. Lorsque mon fils a débuté l’école primaire, j’ai dû faire des choix. J’ai donc décidé de fermer la boutique afin d’avoir plus de temps pour lui et le suivre scolairement. C’est à ce moment que j’ai développé le site marchand, la distribution et l’export. J’ai transformé mon appartement afin de disposer d'une grande pièce pour recevoir tous les jours entre 10h et 19h30 des clientes, des partenaires, etc. J’ai complètement changé de mode de fonctionnement.

Atelier June Shop - Crédits Photos : KKISS
Atelier June Shop - Crédits Photos : KKISS
 
 
11.   Quel est le Top 3 des satisfactions apportées par la création de sa propre entreprise ?

- L’indépendance,
- Le fait d’être en perpétuel challenge, en créant ses propres règles,
- Le côté créatif et le fait d’être toujours en mouvement.

C’est un véritable luxe de vivre de ce que l’on aime, de ce que l’on a choisi mais contrairement à ce que l’on me dit souvent ce n’est pas de la chance mais le résultat d’un travail perpétuel. Le revers de la médaille, c’est qu’il n’y a pas de filets de sécurité, pas de congés maladie ou d’Assedic. En dépit de cela, si je devais m’arrêter de faire des vêtements, je remonterais certainement une autre structure car j’aime l’entreprenariat.

12.   Est-ce facile d’allier vie personnelle et vie professionnelle ?

Auparavant, je travaillais 7 jours / 7 jours sans vacances, c’était dur pour mon entourage. Il est indispensable d’avoir un entourage solide qui soit partie prenante dans l’entreprenariat, je pense notamment au conjoint car ce n’est pas évident d’être avec quelqu’un qui travaille 24H/24H. Il faut donc savoir se ménager des moments familiaux et amicaux de qualité même s’ils sont courts, c’est très important notamment pour les enfants. Mon fils est né là-dedans donc pour lui c’est un peu la normalité. Toutefois, j’explique toujours au corps enseignant ce que je fais afin qu’il comprenne notre rythme de vie.

J’ai cependant dû  me remettre en question en tant que femme pour ne pas impacter mon entourage par mon choix de vie. Après avoir fermé la boutique, j’ai mis 6 mois à trouver un bon rythme. Je n’aurais pas pu être épanouie si mon entourage proche ne l’était pas, il faut arriver à trouver un équilibre.

13.   Quelle est la personnalité qui vous inspire ?

Ma mère. Je ne suis pas du genre à admirer de grandes icônes. J’ai toujours connu ma mère en train de travailler, monter des affaires, élever ses 4 enfants, reprendre des études et s’adapter. Maintenant que je suis adulte, je me rends compte de tout le travail qu’elle a accompli. Je pense tenir d’elle cet esprit entrepreneurial.

14.   Quelles sont les pièces phares du moment chez June Shop ?

Je travaille beaucoup sur la réversibilité. Les manteaux réversibles et bi-matières ont bien fonctionné. Il y a également de nouveaux modèles qui sortiront en mars, j’ai notamment retravaillé le perfecto, un modèle que j’aime bien. Il y a aussi les vestes réversibles et les petites robes Babydoll. Le thème du nouveau lookbook sera Amazone.


Crédits Photos : Aline Rabusseau

 Crédits Photos : Aline Rabusseau


15.   Quels sont vos projets pour June Shop ?

Je souhaite continuer à me développer à l’export en trouvant de nouveaux points de vente car j’aimerais bien « lever le pied » pour pouvoir me consacrer à de nouveaux projets toujours liés à la création. June Shop est déjà distribué dans les Caraïbes (Guadeloupe, Jamaïque), à Miami, en Suisse, en Belgique et je suis en pourparlers à New York.  Je tente maintenant de trouver des points de vente fixes en Amérique Latine, notamment au Brésil et aux Etats-Unis. En fonction des pays, je m’adapte car la demande n’est pas la même au Japon et dans les Caraïbes par exemple. June Shop a donc notamment vocation à se développer à l'échelle internationale.

Un grand merci à Nelly pour sa disponibilité, son accueil et sa conviavilité. Vous pouvez découvrir toutes les Créations June Shop et la toute nouvelle Collection Amazone sur le site.

June Shop est aussi sur Instagram, Facebook et Twitter.
Si vous voulez participer à la vente privée du samedi 28 mars prochain, demander votre invitation via invitation@juneshop.net
Que le wax soit avec vous !


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