Sur KKISS, la rentrée littéraire
est en avance ! Le timing est parfait pour contenter tout le monde, les
lecteurs de plage ou des champs qui profitent encore, les lecteurs de gare ou
d’aéroport qui s’en vont et les lecteurs de métro bondé qui guettent la place
libre sur le chemin du boulot.
Cette rentrée littéraire risque
d’ailleurs de s’étirer dans le temps car pour ma part, les vacances ont été riches
en lignes englouties ! J’ai tenté de rattraper mon retard de l’année avec
plusieurs découvertes littéraires (bon ok, c’était écrit en gros mais quand
même, ça mérite l’autocongratulation).
Le premier à avoir accompagné mes
après-midis transat entre deux : « Maman, regarde comment je
plonge ! », c’est le premier roman de l’auteur guadeloupéen TiMalo : Dyablès.
Ce livre, commencé avant les
vacances, m’est d’abord apparu comme difficile à aborder car pour la première
fois je m’engageais dans la lecture d’un livre écrit entièrement en créole. De
surcroît, celui-ci s’aventure dans une contrée qui ne me séduit pas nécessairement
à savoir le fantastique. Notre cohabitation de transat ne s’annonçait donc
pas sous les auspices les plus solaires.
Oui mes origines justifient en
partie le fait que je comprenne parfaitement le créole, oui j’entends parler
créole depuis mon plus jeune âge (en particulier lorsqu’il s’agissait pour mes
parents de me faire passer des messages « forts » du genre à te
convaincre de ranger ta chambre vite fait), oui j’avais l’impression de ne plus
faire de distinction entre le français et le créole dans ma compréhension. Néanmoins,
le lire s’est avéré être une toute autre affaire. Peut-être surprise que j’étais
par la richesse de la langue finalement pas si bien connue. Une fois ce créole
littéraire appréhendé après quelques pages, j’ai retrouvé une fluidité de
lecture me permettant d’apprécier pleinement cette Dyablès qui n’avait pas fini de m’intéresser.
En premier lieu pour la langue.
Cette langue qui m’est familière et que je découvre riche mais que je retrouve
également imagée, colorée, chaleureuse et pleine de dérision mais surtout
chargée en traditions. Ce créole couché sur le papier me ramène à cette
tradition du conte, de la démonstration à vertu moralisatrice (au sens noble),
du sens de la métaphore si courant aux Antilles, peut-être des réminiscences de
sa mère patrie africaine. A chaque page, des punchlines qui me font sourire, me
font croquer dans la madeleine si chère à Proust mais surtout parlent à ma
fascination pour l’écriture.
Pour vous en dire davantage, un
petit pitch sur l’histoire de cette Dyablès
s’impose. Il s’agit d’histoires croisées, un peu à la manière des premiers
films d’Iñàrritu qui racontent un phénomène étrange se déroulant en Guadeloupe.
Les femmes, victimes d’actes de violence et de maltraitance perpétrés par des
hommes, se transforment en Dyablès,
créature sauvage, vengeresse et incontrôlable ayant pour objectif de massacrer les
hommes.
Ce pitch éclair ne fait pas
honneur à l’œuvre car loin de sombrer dans le carnage, le roman offre avant
tout un regard affûté sur la société en général et la société antillaise en particulier. Une société matrifocale qui oublie parfois de mettre en accord ses
pratiques avec la lourde place centrale confiée aux femmes. Le discours
féministe est prégnant et met en exergue une femme multiple : moderne,
indépendante, qui s’affirme, féminine, indispensable, qui ne se laisse pas
faire mais qui pourtant ; dans cette société chaque jour en mutation et en
quête de modernité ; continue de devoir lutter contre une loi du plus brutal et les traitements dégradants ou encore continue de devoir s’indigner contre un regard des
autres accusateur qui oblige à accommoder sa manière d’être, de vivre pour les
moins contestataires ou les plus fatiguées de lutter. En dépit d’une modernité
chérie, la femme et particulièrement la jeune femme doit encore montrer patte blanche
en trouvant au plus vite un compagnon pour inscrire son existence au sein de la
société.
Toutes ces luttes, ces forces et
contraintes, composantes du quotidien des femmes se retrouvent à travers les
personnages de la fougueuse Gabryèl, de la non moins dynamique Jésika ou encore
de l’attendrissante Yolén qui me font dire que cette Dyablès s’évertue davantage à dévorer les préjugés et les carcans
encore présents plutôt que les hommes eux-mêmes.
Dyablès, c’est aussi un suspens digne d’un thriller qui ne vous
laisse jamais anticiper la suite, de huis clos en huis clos dans l’esprit de
chaque personnage, le tout ponctué de flash-back qui vous maintiennent en
haleine.
Assez réfractaire aux histoires
fantastiques, je n’ai pas été dérangée par cet aspect qui se distille surtout
dans les dernières pages et m’est davantage apparu comme un clin d’œil à la
culture antillaise empreinte des interventions de forces ou esprits surnaturels.
Enfin, j’ai vu dans cette Dyablès une dénonciation de la moutonnerie institutionnalisée notamment au travers de la relation didactique qui s’installe
entre le vieux Klod et le jeune Jak. Une
relation qui suggère la résistance des enseignements de la tradition face aux
enseignements académiques qui lissent les points de vue, uniformisent les
réflexions sous couvert de bien-pensance ; nuisent à la réflexion individuelle
et à la responsabilisation face aux actes de chacun. Une invitation à une certaine
école de la vie qui doit nous permettre de préserver notre liberté de pensée (n’y
voyez aucune dédicace à Florent Pagny).
En conclusion, cette œuvre
surprenante a retenu toute mon attention et mérite vraiment pour ceux qui
comprennent le créole de s’y intéresser. Pour les autres, il ne vous reste plus
qu’à apprendre pour être prêts lors de la prochaine expression littéraire
de TiMalo que j’attends avec impatience. Bonne lecture pour les
convaincus et bravo à l’auteur pour cette œuvre originale.
Pour vous procurer le roman Dyablès, rdv sur le site en cliquant ici.
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