dimanche 17 janvier 2016

La déchéance de nationalité en questions

En ce début de nouvelle année, l’une de mes grandes résolutions est la limitation du cynisme et par conséquent, la limitation des sorties de ses proches cousins, les sarcasmes. Dans ce but, j’ai donc décidé de cesser de me laisser vampiriser par des certitudes et de me laisser bercer par les interrogations. Le débat actuel autour de la déchéance de nationalité arrive donc à point nommé pour alimenter mon désir d’interrogations.
Comme à chaque fois qu’un débat d’opportunité est propulsé sur le devant la scène, je me suis donc posée cette première question : A quoi ça sert ? Ou plutôt que peut-on espérer d’une telle mesure s’emparant des médias qui cessent alors de s’intéresser à autre chose. A priori et selon ceux qui prônent sa mise en place, il s’agirait de « faire perdre sa nationalité à une personne à titre de sanction ». Pour argumenter ce retour au goût du jour, les atrocités commises le 13 novembre dernier sont mises en première ligne. Cette déchéance de nationalité s’adresserait donc en premier lieu aux terroristes. Ceux-là même qui ont accumulé suffisamment de haine contre « la France » ou du moins ce qu’elle symbolise et ce qu’elle (ou plutôt ses Dirigeants politiques) fait sur la scène internationale pour commettre des actes indignes de l’humanité. Cela conduit à une autre interrogation : si tu détestes le sport et que le Ministre des Sports et de la jeunesse, afin de te sanctionner de ce manque d’ouverture d’esprit et  de respect pour ta santé, te condamne à être privé d’accès à toute salle de sport sur l’ensemble du territoire, penses-tu que cette sanction aura un écho important chez toi ?
Je me permets donc juste de douter de la portée idéologique de la chose. Mettons de côté l’idéologie et interrogeons-nous sur l’aspect plus pragmatique. Pour cela, je me suis donc intéressée aux conséquences de la déchéance de nationalité pouvant conduire :
  • Soit à la perte d’une nationalité pour les binationaux,
  • Soit à la création d’apatride pour les Français n’ayant qu’une seule nationalité.
Intéressons-nous au premier cas. Un binational commet un attentat. Déchu de la nationalité française, celui-ci conserve la possibilité de migrer dans le pays lui ayant accordé sa seconde nationalité. Je ne suis pas assez férue de droit pour m’assurer de la viabilité de cette hypothèse  mais admettons que le pays en question accepte de le recevoir pour vivre ou pour purger une peine de prison. Celui-ci, avec la portée médiatique dont il bénéficierait, aurait alors le loisir de continuer à faire propagande de son idéologie voire pourrait organiser, de loin, d’autres attentats. Cette hypothèse, aussi farfelue soit-elle, me pousse à me poser de nouvelles questions (encore) sur l’efficacité d’une telle mesure et sa faculté à minimiser le risque de nouveaux attentats. Le binational n’ayant plus qu’une seule de ses deux nationalités, idéologiquement, ne risque pas de s’émouvoir de cela et sur le plan pratique peut continuer sa propagande, car qui sait quel sort lui réservera le pays d’accueil ? Par ailleurs, combien compte-t-on de terroristes binationaux qui auraient pu être concernés par cette mesure ? Sur les derniers évènements ayant terrassé la France avant les évènements de novembre 2015, la réponse serait 1 sur les 4 terroristes médiatisés.
S’agissant du cas de l’apatride, quelles sont les conséquences pour une personne privée de nationalité, comme cela s’est fait par exemple sous le gouvernement de Vichy pour certains opposants ?
Selon Wikipédia : Les apatrides ne bénéficient pas de la protection d'un État. Dans certains pays, ils ne peuvent obtenir de logement ou de compte en banque à leur nom, n'ont pas la possibilité d'accéder aux soins médicaux, d'envoyer leurs enfants à l'école, parfois de travailler. L'accès à l'état civil leur est parfois impossible, ils ne peuvent donc alors se marier, ou enregistrer leur naissance.
Les enfants d'apatrides sont souvent apatrides, soit car ils n'obtiennent pas de nationalité par leur seule naissance, soit car leur naissance ne peut être enregistrée[]. Dans certains pays (une trentaine d'après le HCR), les enfants dont la mère est nationale et le père étranger n'obtiennent pas la nationalité de leur mère. Sans accès à l'école et avec des accès limités aux autres services essentiels, il leur est extrêmement difficile de sortir de la pauvreté et de l'exclusion.
Ok et donc ? Qu’est-il prévu pour ces fantômes de la société ? A ces premières questions s’ajoute un doute : déchoir de sa nationalité, pourquoi pas, mais quels terroristes ? Si nous prenons pour exemple, les évènements dramatiques qui ont lieu ces dernières années, combien de terroristes « actifs » (ayant participé suffisamment de près aux actes terroristes pour être condamnés et jugés sans équivoque) ont été arrêtés vivants ? Difficile de vouloir « punir » en les privant de la nationalité française, des personnes qui aspirent à mourir pour leur cause…
Si nous étions encore en 2015, j’aurais crié au scandale, dénonçant une manipulation pour distraire le monde des vraies questions, pour éviter soigneusement de traiter les problèmes de fond en balançant de la mesure poudre aux yeux. Je me serais indignée de ces pratiques visant encore et toujours à mettre au cœur du débat la différenciation identitaire, la distinction de l’autre. J’aurais certainement avancé la théorie selon laquelle ces actes auraient été instrumentalisés pour introduire dans la constitution une éventualité qui pourrait être applicable pour tout acte jugé digne d’une sanction irréversible : terrorisme mais aussi et pourquoi pas, tout autre acte jugé indigne de la patrie (cela en fait des possibilités d’un coup ? Tout est question de point de vue). J’aurais apprécié que l’on m’explique comment un gouvernement ayant usurpé l’étiquette de gauche puisse s’intéresser de si près à un sujet à l’efficacité plus que relative mais qui saura passionner les foules avides de boucs émissaires au rabais et si faciles à atteindre. Des pratiques qui ne sont pas sans rappeler celles d'autres courants politiques. Qu’importe que cette initiative ne décourage ou n’atteigne aucun terroriste, ce qui compte c’est de continuer à diviser et de coller aux idées stigmatisantes qui séduisent dans les sondages politiques. Si cela peut éviter dans le même temps d’attirer l’attention sur les questions de fond…c’est du pain béni.
Mais là…non, en 2016, c’est le changement ! Point d’accusations à l’emporte-pièce ! Toutefois, si quelqu’un comprend l’intérêt de cette déchéance de nationalité tellement à la mode, je suis preneuse des réponses.

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