Chère Christiane,
Ce jour, vous avez « décidé »
de quitter le gouvernement dit de gauche. Je dois dire que vous avez tenu plus
longtemps qu’attendu. Une longévité qui démontre que vous avez su dépasser la place imposée de symbole
au plutôt devrais-je dire les étiquettes collées d’office : caution « gauche »
de la dite Gauche, caution noire/symbole de diversité, caution féminine et bouc
émissaire en chef d’une Droite qui a pu s’en donner à cœur joie en vous
stigmatisant autant que faire se peut.
Tant d’étiquettes qui j’imagine
ne vous ont pas été attribuées à votre insu. En acceptant un Ministère aussi
déterminant que celui de la Justice, vous aviez sans aucun doute pris la mesure
de ce carcan au sein duquel on souhaitait vous enfermer. L’hésitation a dû être
grande entre intégrer une institution dont vous ne partagez pas pleinement et
entièrement les valeurs et méthodes ou refuser d’intégrer cette institution
avec le risque de ne pas faire entendre sa voix, même fluette. D’autant qu’ils
avaient vu juste sur une chose. Pour porter la loi ouvrant le mariage aux couples
de personnes de même sexe, vous étiez la parfaite candidate. Une femme tenace
mais qui surtout ne craindrait pas de « marquer » son image. En
effet, défendre les valeurs de la République et imposer une loi qui fondamentalement ne fait que réhabiliter le
principe d’égalité, c’est bien mais prendre le risque de se mettre à dos une
frange réfractaire de la population, c’est tout de même un peu dommageable pour
qui est beaucoup plus attaché à sa côte de popularité et à sa présidentiabilité
qu’au respect des valeurs républicaines. Vous étiez alors parfaite pour vous
jeter sous les roues du camion et cristalliser toutes les rancœurs. Fonction
bouclier activée…Le gouvernement de « Gauche » pouvait ainsi
poursuivre une politique de droite tout en faisant mine de défendre, à moindres frais, des valeurs de gauche. Je vous pense consciente de cette position
délicate mais il devait bien plus vous tenir à cœur de porter à son terme une
loi qui allait réparer une injustice, ce qui est tout à votre honneur.
Cependant, votre détermination
avait été sous-estimée. Disciplinée lorsque les axes politiques que l’on vous
demandait de suivre étaient en accord avec vos opinions, vous saviez aussi vous
montrer critique lorsque vos convictions étaient mises à mal ou lorsque l’intérêt
général ne vous semblait pas justement défendu. Aussi, votre famille politique
adoptive ne manquera pas de faire profil bas et économie de son soutien lorsque
vous tenterez de réformer en profondeur le système judiciaire. Elle vous laissera
vous faire fustiger par la Droite qui saura désinformer les masses en vous faisant
passer pour une hurluberlue azimutée et inconsciente, désireuse d’offrir la
belle vie aux criminels. C’est tellement plus simple de faire croire au chaos
programmé plutôt que d’expliquer que les lois répressives qui existent sont
soient inapplicables, soit inefficaces. Les plus renseignés auront cependant
retenu l’intérêt de vos propositions. Vous avez appris à jongler en luttant au
mieux de vos capacités contre la langue de bois. Vous avez tenté de composer
avec l’hypocrisie imposée par votre fonction en limitant les commentaires
lorsque vous n’étiez pas en accord avec les lignes de conduite
gouvernementales. Mais surtout vous avez su préserver vos convictions. C’est d’ailleurs
ce qui vous a permis de tenir pour espérer voir aboutir votre réforme sur la refonte de la justice des mineurs mais c'est aussi ce qui ne vous permettra pas de composer avec la goutte d’eau que constituera
la Déchéance de nationalité à laquelle vous vous êtes fermement opposée.
Après l’annonce de votre
opposition à ce principe, il y a peu, dans une émission radiophonique, j’ai
entendu Valérie Pécresse appeler à la solidarité gouvernementale, se disant
favorable à votre démission en clamant haut et fort son adhésion à la réplique chevènementiste :
« Un ministre, ça ferme sa gueule. Et si ça veut l'ouvrir, ça démissionne. ».
Ce discours venait pour moi
parfaitement illustrer la désincarnation de la politique et institutionnaliser
la perte de ses fondements, son détournement. Revendiquer une discipline
gouvernementale consistant à ne pas s’opposer à son chef de file ou à la
majorité cela revient à nier toutes convictions en politique. Dès lors que l’affirmation
des convictions devient antinomique au regard de la fonction politique et a
fortiori gouvernementale, la politique s’en retrouve vidée de sa substance et
de sa légitimité. On ne peut pas demander à une figure politique d’incarner une
diversité de posture comme d’opinions tout en lui demandant de ne pas exprimer
ses opinions. On ne peut pas ériger la démocratie en principe en rejetant le
débat et en revendiquant la pensée unique. Dire qu’un gouvernement se doit d’être
uniforme et d’étouffer les diversités de pensées, c’est non seulement appauvrir
la réflexion intellectuelle, se priver de la prise en compte de tous les
aspects nécessaires à la compréhension d’une problématique mais c’est surtout reconnaître
qu’en politique les convictions n’ont pas droit de cité. C’est dire aux votants
survivants et en décroissance continue : « vous pouvez voter pour qui
vous voulez, demain celui que vous aurez mis sur le devant de la scène pourra
abandonner toutes les convictions prônées qui vous ont conduit à voter pour lui ».
Bref, c’est sacraliser le retournage de veste en politique que certes nous connaissons
et subissons quotidiennement mais de là à en faire un porte-drapeau !
Ils ont voulu vous faire passer
pour une furie écervelée et laxiste, je ne retiendrai que la femme de
convictions qui aura tenté de ménager sa volonté d’agir et son idéologie, une
sorte de définition de l’intégrité malheureusement étrangère au monde politique
trop pressé de nous voir bouder les urnes. L’avantage de cette
éviction/démission, c’est que nous pourrons retrouver votre parole pleinement
libérée et profiter encore d’une rhétorique qui peine à trouver son pareil. A
bientôt Christiane.
« Parfois résister c'est rester, parfois résister c'est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l'éthique et au droit. » Ch. Taubira.
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