mercredi 27 janvier 2016

Au revoir Christiane


Chère Christiane,

Ce jour, vous avez « décidé » de quitter le gouvernement dit de gauche. Je dois dire que vous avez tenu plus longtemps qu’attendu. Une longévité qui démontre que vous  avez su dépasser la place imposée de symbole au plutôt devrais-je dire les étiquettes collées d’office : caution « gauche » de la dite Gauche, caution noire/symbole de diversité, caution féminine et bouc émissaire en chef d’une Droite qui a pu s’en donner à cœur joie en vous stigmatisant autant que faire se peut.

Tant d’étiquettes qui j’imagine ne vous ont pas été attribuées à votre insu. En acceptant un Ministère aussi déterminant que celui de la Justice, vous aviez sans aucun doute pris la mesure de ce carcan au sein duquel on souhaitait vous enfermer. L’hésitation a dû être grande entre intégrer une institution dont vous ne partagez pas pleinement et entièrement les valeurs et méthodes ou refuser d’intégrer cette institution avec le risque de ne pas faire entendre sa voix, même fluette. D’autant qu’ils avaient vu juste sur une chose. Pour porter la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, vous étiez la parfaite candidate. Une femme tenace mais qui surtout ne craindrait pas de « marquer » son image. En effet, défendre les valeurs de la République et imposer une loi qui  fondamentalement ne fait que réhabiliter le principe d’égalité, c’est bien mais prendre le risque de se mettre à dos une frange réfractaire de la population, c’est tout de même un peu dommageable pour qui est beaucoup plus attaché à sa côte de popularité et à sa présidentiabilité qu’au respect des valeurs républicaines. Vous étiez alors parfaite pour vous jeter sous les roues du camion et cristalliser toutes les rancœurs. Fonction bouclier activée…Le gouvernement de « Gauche » pouvait ainsi poursuivre une politique de droite tout en faisant mine de défendre, à moindres frais, des valeurs de gauche. Je vous pense consciente de cette position délicate mais il devait bien plus vous tenir à cœur de porter à son terme une loi qui allait réparer une injustice, ce qui est tout à votre honneur.

Cependant, votre détermination avait été sous-estimée. Disciplinée lorsque les axes politiques que l’on vous demandait de suivre étaient en accord avec vos opinions, vous saviez aussi vous montrer critique lorsque vos convictions étaient mises à mal ou lorsque l’intérêt général ne vous semblait pas justement défendu. Aussi, votre famille politique adoptive ne manquera pas de faire profil bas et économie de son soutien lorsque vous tenterez de réformer en profondeur le système judiciaire. Elle vous laissera vous faire fustiger par la Droite qui saura désinformer les masses en vous faisant passer pour une hurluberlue azimutée et inconsciente, désireuse d’offrir la belle vie aux criminels. C’est tellement plus simple de faire croire au chaos programmé plutôt que d’expliquer que les lois répressives qui existent sont soient inapplicables, soit inefficaces. Les plus renseignés auront cependant retenu l’intérêt de vos propositions. Vous avez appris à jongler en luttant au mieux de vos capacités contre la langue de bois. Vous avez tenté de composer avec l’hypocrisie imposée par votre fonction en limitant les commentaires lorsque vous n’étiez pas en accord avec les lignes de conduite gouvernementales. Mais surtout vous avez su préserver vos convictions. C’est d’ailleurs ce qui vous a permis de tenir pour espérer voir aboutir votre réforme sur la refonte de la justice des mineurs mais c'est aussi ce qui ne vous permettra pas de composer avec la goutte d’eau que constituera la Déchéance de nationalité à laquelle vous vous êtes fermement opposée.

Après l’annonce de votre opposition à ce principe, il y a peu, dans une émission radiophonique, j’ai entendu Valérie Pécresse appeler à la solidarité gouvernementale, se disant favorable à votre démission en clamant haut et fort son adhésion à la réplique chevènementiste : « Un ministre, ça ferme sa gueule. Et si ça veut l'ouvrir, ça démissionne. ».

Ce discours venait pour moi parfaitement illustrer la désincarnation de la politique et institutionnaliser la perte de ses fondements, son détournement. Revendiquer une discipline gouvernementale consistant à ne pas s’opposer à son chef de file ou à la majorité cela revient à nier toutes convictions en politique. Dès lors que l’affirmation des convictions devient antinomique au regard de la fonction politique et a fortiori gouvernementale, la politique s’en retrouve vidée de sa substance et de sa légitimité. On ne peut pas demander à une figure politique d’incarner une diversité de posture comme d’opinions tout en lui demandant de ne pas exprimer ses opinions. On ne peut pas ériger la démocratie en principe en rejetant le débat et en revendiquant la pensée unique. Dire qu’un gouvernement se doit d’être uniforme et d’étouffer les diversités de pensées, c’est non seulement appauvrir la réflexion intellectuelle, se priver de la prise en compte de tous les aspects nécessaires à la compréhension d’une problématique mais c’est surtout reconnaître qu’en politique les convictions n’ont pas droit de cité. C’est dire aux votants survivants et en décroissance continue : « vous pouvez voter pour qui vous voulez, demain celui que vous aurez mis sur le devant de la scène pourra abandonner toutes les convictions prônées qui vous ont conduit à voter pour lui ». Bref, c’est sacraliser le retournage de veste en politique que certes nous connaissons et subissons quotidiennement mais de là à en faire un porte-drapeau !


Ils ont voulu vous faire passer pour une furie écervelée et laxiste, je ne retiendrai que la femme de convictions qui aura tenté de ménager sa volonté d’agir et son idéologie, une sorte de définition de l’intégrité malheureusement étrangère au monde politique trop pressé de nous voir bouder les urnes. L’avantage de cette éviction/démission, c’est que nous pourrons retrouver votre parole pleinement libérée et profiter encore d’une rhétorique qui peine à trouver son pareil. A bientôt Christiane.

« Parfois résister c'est rester, parfois résister c'est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l'éthique et au droit. » Ch. Taubira.

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