mardi 15 décembre 2015

Maître Gims, le bon élève du rap français ?


19.45 - JT M6

L’un des bienfaits d’une consommation cathodique limitée est la forte probabilité de ne pas être déçu lors des rares prises de contact. Ainsi, ce soir j’ai pu profiter du 19.45, le journal télévisé de M6 orchestré par le cousin vieillissant de Ken, teinté d’Olivier Minne sur le retour, qui pour l’occasion avait convié la cash-machine, Maître Gims. Jusque-là rien de très exceptionnel : un JT qui choisit d’accueillir sur son plateau un artiste en vogue, en promo’ et capable de remplir Bercy.

Toutefois, je ne m’attendais pas alors à assister à une si belle performance de compilation de lieux communs, préjugés et de  promotion de fantasmes malveillants à l’égard du rap. L’accusation peut paraître lourde surtout pour ceux qui ont regardé cette édition et qui n’y ont vu que bienveillance dans les propos du journaliste, pressé de reformuler, en guise de conclusions téléguidées, les réponses du chanteur afin de s’assurer que celles-ci conviennent parfaitement à l’image bien-pensante qu’il souhaite mettre en avant.

Ainsi, tous les poncifs y passent : de l’histoire du mauvais élève à l’enfance difficile, à la révélation née lors d’une interprétation du Bourgeois Gentilhomme de Molière, en passant par la rencontre de l’amour après une conversion à l’Islam (sujet à la mode qui valait le coup d’être mentionné) et enfin l’avènement, la gloire et la diffusion d’un message sain et gentillet auprès des plus jeunes, lourde étant la tâche de celui qui doit dès lors porter un message positif. Ce portrait de Saint Maître Gims pourrait être considéré comme anecdotique et seulement prompt à faire pleurer la fameuse ménagère, à la réserve près que ce schéma bien rodé ne vise en réalité qu’à faire la part belle aux idées reçues sur un genre musical qui n’est pas prêt de cesser d’être stigmatisé.

En effet, ce parcours positif, qui revêt un caractère d’exception, n’a pas d’autres effets que de dessiner en creux les supposées caractéristiques négatives du rap. Ainsi le présentateur, avec un sourire en coin, n’hésite pas à qualifier Maître Gims de « gentil rappeur » comme s’il s’agissait d’un subtil oxymore ; à souligner avec émoi « sa rencontre » avec Molière, le maître de la langue française, comme pour déclarer : « vous voyez, il n’est pas illettré » ou encore mettre en avant l’importance que les femmes (sa femme, sa mère…et peut-être la gardienne de son immeuble, qui sait ?) ont joué dans sa vie, comme pour clamer qu’il n’est pas machiste. Maître Gims apparaît alors comme le parfait (et rare) élève échappé de cette horde de rappeurs intrinsèquement méchants (faut-il comprendre aptes à dénoncer ?), analphabètes (Zemmour, sors de ce corps) et misogynes. Cela serait évidemment malhonnête de prétendre qu’aucun de ces qualitatifs n’est applicable à certains rappeurs mais pourquoi serait-ce uniquement l’apanage des rappeurs ? Mais surtout de quel rap est-il question ? Celui que l’on aime diaboliser ou celui que l’on aime encenser seulement parce qu’il se fond si bien dans la masse qu’on pourrait presque croire qu’il ne s’agit pas…de rap. Car peut-on réellement parler de rap lorsque la rythmique et le phrasé qui lui sont propres sont réduits au minimum pour laisser place à une dynamique plus proche de la variété ou de ce qu’on appelait un temps la « world musique ». Sans critique à l’égard de Maitre Gims dont il est difficile de remettre en cause le mérite commercial, je peine à reconnaître dans ses dernières créations la construction verbale propre au rap ou encore ses préoccupations privilégiées qui, bien qu’elles ne soient pas exclusivement contestataires (l’égo-trip ou le rap festif en sont la preuve) ont longtemps contribué à son heure de gloire.

Le « gentil » rappeur aurait-il le même attrait que l’éléphant sans défenses d’ivoire, propice à l’apitoiement mais plus rassurant  pour celui qui craint d’être chargé. Par ailleurs, cette vision étriquée, outre le fait qu’elle nie la capacité à exister dans une dynamique positive d’un autre rap, en dit long sur une société désireuse d’annihiler la variété des modes d’expression en ne reconnaissant que ceux qui renient leurs spécificités. Pas très enrichissant comme perspective…

Qu’importe qu’ils aient à cœur de s’intéresser à des sujets de société en maniant à la perfection la langue française, qu’importe qu’ils « travaillent leur textes » pour s’assurer que la mélodie des mots fasse honneur à la profondeur des pensées, les « méchants » rappeurs ne sont pas prêts d’envahir les plateaux TV tant qu’ils n’auront pas fait leur choix entre l’image effrayante du rappeur écervelé qu’il est bon d’inviter pour enfoncer le clou des clichés et celle du « gentil » rappeur qui a eu l’amabilité d’arrêter de faire du rap. Etre banni ou ne pas être, tel est le meilleur moyen de ne pas être entendu.

Encore une belle démonstration du parti pris qui aujourd’hui se sent presque comme chez lui dans l’espace médiatique.

4 commentaires:

  1. Wouah! Quel bel article! Tu as tout a fait raison et ça me rend triste de voir ces "rappeurs" faire des galipettes pour récolter une poignée de cacahuètes comme des singes même pas savants. Quand l'appât du gain et plus important que la dignité c'est désolant... C'est exactement pour cela que je ne regarde plus la TV.

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    1. Merci pour le compliment Eloïse ! Il est certain que l'effort n'est plus d'actualité...Cela nous pousse aussi à affûter nos oreilles :).Bonne soirée.

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  2. Ton billet m’a permis de découvrir un autre aspect de l’univers du rap. Merci pour ce bel article.

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